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défendre la multitude des martyrs, nous paraissent avoir un tel caractère de vérité et de certitude, que nous nous persuadons aisément qu’il ne se trouvera personne qui veuille se joindre à Henri Dodwel, pour reprocher à l’Église catholique que c’est à tort qu’elle se glorifie de cette multitude innombrable. Il ne peut donc y avoir que cette demangeaison d’écrire contre l’Église romaine, si ordinaire et si naturelle aux hérétiques, qui ait pu porter Dodwel, personnage d’ailleurs très-docte, et à qui la savante antiquité n’est pas inconnue, à inventer un système si nouveau. Il a donné tête baissée et avec un peu trop de précipitation, pour ne rien dire de plus fort, dans une opinion si peu soutenable, et il a cru que, traitant les auteurs des martyrologes de conteurs de fables, il pourrait par ce seul mot leur ôter toute autorité et leur faire perdre toute créance, comme à des gens qui, en donnant à l’Église plusieurs martyrs, ne lui auraient en effet donné que de vains fantômes et les productions de leur imagination. Ce n’est pas qu’on veuille proposer ces sortes de livres comme infaillibles et exempts de toute faute ; on sait qu’il n’y a que l’Écriture sainte qui ait ce privilége ; mais aussi il ne s’ensuit pas de là que ceux qui les ont écrits aient usé de mauvaise foi en les composant, ou aient été des gens de légère créance, ni qu’on doive les accuser d’une hardiesse téméraire ; il est certain, au contraire, que les martyrologes n’ont été composés que par des hommes de poids et d’une probité reconnue ; qu’ils ont été tirés des plus anciens monuments et des calendriers des Églises particulières ; qu’ils ont été approuvés par les évêques et lus publiquement dans les assemblées des fidèles. Au reste, la fin qu’on s’est proposée en les écrivant a été d’engager les chrétiens à honorer les Saints, du moins par quelque souvenir, puisqu’il ne leur était pas possible de célébrer la fête de chacun en particulier, et afin que ces recueils fussent comme le symbole et la marque de l’union de toutes les Églises. Et même pour empêcher toute surprise et toute supposition, les Pères du concile in Trullo défendent la lecture des histoires apocryphes des martyrs, veulent qu’on les jette au feu, et frappent d’excommunication tous ceux qui les recevront[1].


§ III.

1. les causes et les motifs des persécutions.

Après avoir exposé le sentiment des Saints et la tradition de l’Église catholique touchant le grand nombre des martyrs qu’elle révère, l’ordre des choses demande que nous cherchions maintenant quels ont pu être les motifs qui ont porté les persécuteurs à répandre tant de sang innocent. Le premier et le plus apparent, après la religion, est la prévention où étaient les païens contre les chrétiens, dont la vie pure et sans tache, mais noircie par la calomnie, leur paraissait souillée des crimes les plus énormes et les plus criants. Ce préjugé si faux et si peu vraisemblable commença à prévenir les esprits, dès le règne de Néron : peu de temps après, les horribles forfaits d’homicide et d’inceste devinrent les principaux chefs d’accusation qu’on proposa contre eux, peut-être à l’occasion de quelques hérétiques qui, portant le nom de chrétien à faux, s’en trouvaient coupables, ou à l’instigation des juifs qui n’omettaient rien pour rendre les chrétiens odieux aux Gentils. De là vient qu’on rencontre si souvent, dans les actes des martyrs et dans les ouvrages des anciens Pères, ces termes de Festins de Thieste et de Noces d’Œdippe. Mais quoique les chrétiens se purgeassent de ces honteux et détestables reproches, avec beaucoup de force et une entière évidence, comme on peut le voir par leurs apologies[2], ils ne purent toutefois en effacer entièrement l’idée dans l’esprit du peuple et des magistrats ; de sorte qu’on ne manquait jamais d’attribuer aux crimes des chrétiens les calamités publiques, comme si les dieux irrités par de telles abominations n’eussent pu s’empêcher d’envoyer leurs fléaux sur un empire au milieu duquel elles se commettaient. « Si le Tibre, dit Tertullien[3], vient à sortir de son lit ; si le Nil ne sort pas du sien ; si le ciel refuse de la pluie ; si la faim ou la peste se font sentir, on crie aussitôt : qu’on donne aux bêtes les chrétiens. »

Un autre motif de l’effroyable aversion que les Gentils avaient conçue contre les chrétiens venait de ce que ceux-ci improuvaient et traitaient d’impiété les sacrifices que l’on offrait aux dieux tutélaires de l’empire, pour le salut de la patrie, pour la santé du prince et pour le bien de l’État, et de ce qu’ils ne voulaient pas jurer par le génie de la république ou par celui des empereurs. Ajoutez à cela l’éloignement qu’ils avaient des spectacles, des jeux et des fêtes qu’on célébrait, ou pour rendre grâces aux dieux des victoires obtenues sur les ennemis, ou pour honorer le jour de la naissance des Césars. On ne doit donc pas être surpris de voir des empereurs, d’ailleurs très-religieux et portés naturelle-

  1. Can. 63.
  2. De Justin, de Quadrat, d’Athenagore, etc.
  3. Apol. c. 40.