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à tomber entre ses mains, il le faisait noyer secrètement durant la nuit. Eusèbe décrit avec beaucoup d’agrément et fort au long les ruses et les fourberies que ce prince mit en œuvre pour perdre les chrétiens[1]. « Il se servit pour cela du ministère d’un fameux fourbe d’Antioche. Cet homme feignit d’avoir reçu du Ciel un oracle qu’il avait lui-même composé, et auquel il faisait dire que c’était la volonté de Jupiter que les chrétiens fussent chassés de la ville et de tout le territoire d’Antioche : les magistrats des autres villes d’Asie suivirent l’exemple de la capitale. Maximin, de son côté, mit en usage toutes sortes de moyens pour engager les particuliers aussi bien que les personnes publiques à se déclarer contre les fidèles. Il fit comprendre aux uns et aux autres qu’ils ne pouvaient lui rendre de services plus agréables que de ne faire aucun quartier aux chrétiens ; que c’était là la voie la plus sûre et la plus courte pour obtenir de lui les grâces qu’ils en attendaient. » On supposa de faux actes de Jésus-Christ, qui contenaient ce qu’on prétendait s’être passé entre lui et Pilate. On contraignit, à force de tourments, de simples femmes à s’avouer coupables de toutes ces abominations dont on a tant de fois chargé les chrétiens, et qu’on les accusait de commettre dans leurs assemblées. Ces dépositions extorquées, et dont les juges donnèrent acte, furent publiées par l’ordre de l’empereur ; cela donna lieu en divers endroits à des persécutions particulières. Enfin, les édits contre les chrétiens parurent ; on les grava sur des plaques[2]de cuivre, et ils furent ainsi affichés et exposés dans toutes les villes de l’Orient. On se mit en devoir de les exécuter, et l’on y travaillait avec ardeur, lorsque Constantin et Licinius contraignirent Maximin de révoquer ses édits. Il périt enfin misérablement lui-même l’an 315, et l’Église commença pour la première fois à respirer sous des empereurs chrétiens.

Au reste, cette persécution durant l’espace de dix ans désola tout l’Orient ; à la vérité, il y eut quelques intervalles de relâche. Mais à l’égard des provinces de l’Occident, après en avoir essuyé tout le feu pendant deux ans seulement, elles jouirent d’une paix profonde, depuis le partage qui fut fait de l’empire, en 505. Ainsi Dodwel ne mérite aucune créance lorsqu’il veut nous persuader que non-seulement les Gaules et l’Espagne, mais même une partie de l’Afrique, n’en ont souffert aucune atteinte. Car il prétend que l’édit que Maximien-Hercule fit publier en Afrique était conçu en termes beaucoup plus doux que les édits de ses collègues, et avec des modifications qu’ils n’avaient pas ; car il ne décernait des peines que contre les chrétiens qui s’assembleraient pour célébrer les saints mystères, ou qui ne voudraient pas livrer les saintes Écritures. Mais nous ne voulons, pour renverser cette prétention de Dodwel, que le témoignage de l’auteur des Actes des saints Saturnin, etc., martyrs d’Afrique, dont il se fait fort, et qu’il se contente d’alléguer seul, pour appuyer son sentiment, puisque cet auteur dit, en termes formels, que l’édit, qui fut porté en Afrique, avait été fait et concerté par les empereurs et les Césars. On lit à la section 5 : « Ceux qui contrevenant à l’édit des empereurs et des Césars, s’assembleront… » Et à la section suivante, le proconsul dit : « Vous devez vous soumettre à l’ordonnance des empereurs et des Césars… » Et ces mêmes mots sont souvent répétés dans ces actes. Ceux de saint Félix, évêque de Tibiure, ville d’Afrique, s’expriment de la même sorte : On publia un édit des empereurs et des Césars… Mais enfin les chrétiens ne périssaient-ils pas également, soit qu’on les fit mourir comme chrétiens, ou parce qu’ils s’étaient trouvés aux assemblées de l’Église ; et par quelque motif qu’ils reçussent la mort, en perdaient-ils moins la vie ? On pourrait même répondre à cette chicane de Dodwel par les propres paroles de l’auteur, qu’il prétend lui être si favorable. « Ô l’impertinente question ! ô la ridicule demande ! disait un saint martyr au tyran qui l’interrogeait. Il ne s’agit pas, dites-vous, de savoir si je suis chrétien, mais si je me suis trouvé à l’assemblée des chrétiens, comme si l’on pouvait célébrer le saint dimanche sans être chrétien, ou qu’on pût être chrétien sans célébrer le saint dimanche. Sachez qu’il n’y a point de christianisme sans cette fête, et que cette fête ne peut être hors le christianisme. » Optat nous fournit encore de quoi répondre à Dodwel. Cet éloquent évêque de Milève, après avoir comparé à un ours affamé la persécution que Dioclétien et Maximien avaient excitée en Afrique, continue ainsi[3] : « En ce temps-là on vit des juges impies qui déclarèrent une guerre sanglante à tous ceux qui portaient le nom de chrétien… On contraignait les uns à démolir eux-mêmes les églises qu’ils avaient élevées au Dieu vivant ; les autres à renoncer Jésus-Christ ; ceux-ci à brûler de leurs propres mains l’Évangile et les autres lois divines ; ceux-là à donner de l’encens aux idoles… » Et

  1. Lib. hist. 9, ab init. ad init. ad c. 10.
  2. Ou des tables.
  3. Lib. 3, ad Parmen.