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peu près dans les mêmes termes, au sujet de cette persécution[1]. Le même auteur la compare à une guerre civile[2] ; mais Lactance en donne une idée plus triste encore et plus funeste[3]. « S’il arrive quelquefois, dit-il, que la victoire rende des vainqueurs trop insolents, et qu’elle leur inspire des sentiments peu modérés, les excès où elle les porte envers les vaincus se terminent ou à la mort ou à la servitude. Mais on aura peine à croire qu’on puisse traiter avec une telle rigueur des hommes dont l’innocence est reconnue de tout le monde… On leur fait endurer des tourments recherchés et préparés avec art. C’est peu de les tuer, si la cruauté de leurs persécuteurs n’insultait encore à leurs corps, après leur mort : on s’acharne sur eux comme si l’on voulait sucer jusqu’à la dernière goutte de leur sang… » Et dans un autre endroit du même livre il compare les tyrans à des bêtes carnassières, avec cette différence, que les tyrans sont bien plus cruels ; « car, quel mont Caucase, dit-il, quel pays d’Hyrcanie a jamais nourri des lions ou des tigres aussi altérés de sang ?… Celui-là est véritablement plus inhumain qu’un tigre, qui d’un seul mot fait couler le sang dans toutes les parties du monde ; qui remplit tout d’effroi, de gémissements et de larmes ; qui fait voler la mort en tous lieux. Quel pinceau pourrait représenter l’inhumanité d’un tel monstre, qui, couché dans sa caverne, ne laisse pas de faire sentir ses dents meurtrières dans toute la terre, et qui, ne se contentant pas d’ôter la vie à des hommes, les démembre, brise leurs os, les réduit en cendres, leur envie le triste repos de la sépulture ? Enfin, il est impossible de dire tous les maux que les gouverneurs firent dans leurs provinces ; plusieurs volumes ne suffiraient pas pour recueillir les différents genres de tourments, de tortures et de morts qu’ils firent alors souffrir. »

« L’année 305, dit encore Lactance, les deux vieillards[4] ayant abdiqué l’empire, Maximien-Galère, se voyant seul revêtu de la souveraine puissance, s’appliqua tout entier à opprimer le genre humain, dont il venait d’être déclaré le maître… Parlerai-je de ses divertissements ordinaires ? Il faisait nourrir des ours, et quand il lui prenait envie de se réjouir et de passer agréablement quelques heures, il commandait qu’on amenât un tel homme qu’il nommait, et qu’on le jetât à ces animaux carnassiers, qui engloutissaient ce malheureux, plutôt qu’ils ne le mangeaient. Pour lui, il riait de tout son cœur lorsqu’il voyait les ours déchirer de bonne grâce les corps de ces misérables. » Et cela arrivait très-souvent, et non pas seulement, comme veut le faire croire Dodwel, aux fètes solennelles de l’amphithéâtre et du cirque ; car il ne se mettait jamais à table qu’elle ne fût arrosée de sang humain. « Et il regardait comme une grâce ou du moins comme une peine trop légère, l’exil, la prison et les métaux[5] ; mais il lui fallait, pour satisfaire pleinement sa cruauté, des feux, des lions et des ours. À l’égard des feux (c’est toujours Lactance qui parle), voici de quelle manière il les faisait servir à assouvir sa rage contre les chrétiens. Après qu’on avait lié le martyr, on lui mettait les pieds sur de la flamme, qui, poussant sa pointe contre la plante de chaque pied, en détachait peu à peu la chair et en découvrait les os. Ensuite on appliquait à chaque membre des flambeaux allumés, en sorte qu’il n’y avait aucune place sur le corps qui ne fût brulée en même temps ; et de peur que le martyr ne rendit trop tôt l’esprit, par l’extrême ardeur que tant de feux pouvaient allumer dans ses veines, on lui répandait de l’eau sur le visage, et on le forçait d’en avaler quelques gouttes, qui pussent tempérer l’excessive chaleur qu’il ressentait, et faire durer plus longtemps le plaisir de l’empereur. Mais lorsque sa chair desséchée peu à peu, s’entr’ouvrant comme une terre brûlée par le soleil, donnait passage à la flamme jusqu’aux entrailles, alors le patient mettait fin à sa vie et au divertissement de Maximien. On achevait, après cela, de réduire le corps en cendres, qu’on jetait enfin dans le fleuve ou dans la mer. »

Maximin-Galère, créé César par Maximien-Galère, et qui prit ensuite la pourpre de lui-même, ne se signala pas moins que ses collègues par sa cruauté. Lactance dit qu’il choisit l’Orient pour servir de théâtre à sa fureur, et Eusèbe rapporte en détail les tourments qu’il employait contre les chrétiens[6]. Brûler à petit feu, enfoncer des clous dans la chair, exposer aux bêtes, précipiter dans la mer, couper les membres, arracher les yeux, mutiler tout le corps, c’était là les essais de la cruauté de Maximin, auxquels il ajoutait les chaînes, la faim et les métaux. Il fut toutefois obligé de dissimuler à cause de Constantin, dont les lettres menaçantes lui faisaient souvent suspendre l’exécution de ses noirs projets : cependant lorsque quelque chrétien venait

  1. Lib. 8, hist., c. 4.
  2. Lib. 1 de vita Const. Mag.
  3. Lib. 5, Inst., c. 9.
  4. Dioclétien et Maximien-Hercule.
  5. Ou les mines.
  6. Euseb. l. 8, hist. c. 14.