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princesse entêtée, s’il en fut jamais, du culte superstitieux de ses idoles. Tout l’hiver se passa à délibérer de cette affaire : Dioclétien fut longtemps avant que de se résoudre, s’opposant toujours aux desseins furieux de Galère, soit qu’il eût horreur de répandre tant de sang innocent, soit qu’il fût bien aise d’en rejeter le crime sur un autre ; car il avait l’adresse de se servir du nom d’autrui pour satisfaire sa propre cruauté, voulant avoir le plaisir d’être cruel, sans en avoir la réputation. Et lorsqu’il faisait du bien, il le faisait sans prendre conseil de personne, pour en avoir tout le mérite ; mais lorsqu’il avait dessein de faire du mal, qu’il prévoyait devoir lui attirer la haine du public, il prenait pour lors l’avis de plusieurs afin que l’injustice leur fût attribué, et que toute l’indignation du peuple retombât sur eux. Cependant Galère l’emporta enfin sur toute sa résistance, et au commencement de l’année 303 l’édit fut dressé. Il privait les Chrétiens de tous biens, honneurs et dignités, déclarait qu’ils avaient encouru les peines portées par les anciens édits contre les impies, voulait qu’on procédât incessamment contr’eux, de quelque rang ou condition quels fussent… Galère, ayant obtenu ce qu’il souhaitait ne perdit point de temps ; il fit mettre le feu au palais par des gens apostés, et aussitôt en fit accuser les chrétiens. Et un second incendie étant survenu, qui leur fut encore imputé, on ne garda plus de mesure ; les choses furent poussées à l’extrémité, et on commença à exécuter l’édit avec une extrême rigueur, premièrement à Nicomédie, et ensuite dans toutes les provinces.

Au reste, quoique tous les auteurs ecclésiastiques sans en excepter aucun, aient écrit que cette persécution fut très-cruelle et qu’elle fit une multitude presqu’innombrable de martyrs, Dodwel ose lui seul soutenir contre toute l’antiquité, que la plupart des provinces ne s’en ressentirent point, et qu’à l’égard de celles où elle trouva quelqu’entrée, elle n’y fut ni rude, ni continuelle. Il a même à son ordinaire, recours à son argument favori, se déclarant en toutes rencontres en faveur des tyrans. Car il entreprend hautement La Défense de Dioclétien, faisant tous ses efforts pour le justifier du reproche que tous les siècles lui ont fait, d’avoir aimé le sang ; que son naturel n’y était nullement porté, et que, hors quelquelques malheureux qui périrent sur une accusation intentée contr’eux, à l’occasion de l’incendie de Nicomédie, on ne souffrit point, durant les six premiers mois de l’année 303, qu’aucun des gouverneurs tourmentés les chrétiens en façon quelconque ; qu’à la vérité on fit mourir quelques personnes du clergé, mais que pour ce qui concerne les laïques, il n’y en au aucun qui courût fortune de la vie, tant que Dioclétien gouverna l’empire ; Il ajoute que, durant tout le cours de la persécution, on la fit perdre à très peu de personne, si l’on en excepte ceux qui la perdirent par les ordres de Galère ; qu’au reste ces sortes d’exécutions ne se firent qu’aux solennités et aux jours de jeux et de spectacles, et seulement dans les principales villes. Il entasse ainsi quantité de faits, ou entièrement faux, ou revêtus des apparences les plus faibles, les appuyant quelquefois de certains passage de Lactance et d’Eusèbe, qu’il prétend favoriser son opinion. C’est ce que nous allons voir.

Ces deux auteurs disent que la persécution commença à Nicomédie ; mais on ne trouvera jamais que ni l’un ni l’autre ait dit qu’elle ait été fort modérée dans les provinces, si ce n’est dans les Gaules, ni qu’on n’y ait épargné le sang des chrétiens. Lactance, au contraire, après avoir décrit le massacre de Nicomédie, « où les plus proches parents de Dioclétien, aussi bien que les officiers de sa maison, se trouvèrent enveloppés par un ordre exprès de ce prince, qui, assis auprès du bûcher destiné pour eux, y mettait tranquillement le feu ; après que le même écrivain nous a fait voir tous les juges empressés à faire donner la question aux prétendus incendiaires, les principaux eunuques mis à mort, des personnes de tout sexes et de tout âges trainées au supplice, non séparément et l’une après l’autre, mais en troupe, à cause de leur nombre ; en sorte qu’on fut obligé de donner un fort grand circuit au bûcher, dans le milieu duquel on enferma ces innocentes victimes, à l’exception de quelques domestiques qu’on précipita dans le fleuve ; » après dis-je, que Lactance nous a fait cette affreuse peinture, il continue ainsi : « on avait déjà eu soin de dépêcher des courriers à Maximien Hercule et à Constance Chlore, pour leur faire part de l’édit, et pour les convier à en user de même dans les provinces de leur département… Le vieux Maximien, qui avait l’Italie pour son partage, obéit volontiers. » Ensuite Lactance commence ainsi le chapitre seizième : « Toute la terre était donc sans l’oppression, et depuis le levant jusqu’au couchant, si l’on met à part les Gaules, trois bêtes farouches se soûlaient de sang et de carnage. Non, quand j’aurais cent bouches et cent langues ; quand j’aurais un estomac de fer et une voix qui retentit comme l’airain, il ne me serait pas possible d’exprimer les diverses sortes de supplices que les juges mirent alors en usage pour tourmenter des saints dans toutes les provinces de l’empire. » Eusèbe s’explique à