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lumer qu’elle fut éteinte avec sa vie. Si Aurélien, conclut Dodwel, n’a pu poursuivre ce qui avait été résolu dans son conseil, c’est une preuve évidente qu’il n’y a eu aucun martyr qui ait souffert en vertu de ces édits. Quoiqu’on puisse conclure de ces passages que la persécution d’Aurélien a peu duré, il ne s’ensuit pas pour cela qu’elle n’ait fait aucun martyr. Premièrement, ce bruit qui se répandit du changement de l’empereur à l’égard des chrétiens, qui le porta à publier contr’eux de sanglants édits, marque déjà qu’il avait conçu pour eux une aversion prodigieuse. Son conseil s’étant ensuite déclaré ouvertement contre eux et ayant allumé par leurs pernicieux avis les premiers feux de la persécution, il est presqu’impossible que quelque chrétien n’en ait été consumé. Eusèbe n’en disconvient pas, dans sa chronique, lorsqu’il dit « qu’Aurélien fut massacré après avoir excité contre les fidèles une persécution. » À l’égard de Lactance, il dit véritablement que, lorsque ce prince fut tué, son édit n’avait pas encore été publié dans les provinces de l’empire les plus éloignées. Mais qui empêche qu’il ne l’ait été après qu’il n’a plus été au monde ? Et il ne fallut pas plus de temps pour y porter cet édit, que la nouvelle de sa mort. On ne peut du moins disconvenir qu’il n’ait été reçu dans les provinces les plus voisines de Rome, et Aurélien fut tué, à la vérité, dans le premier accès de sa fureur, mais il avait déjà par des effets attaqué la souveraine majesté de Dieu. Il n’exécuta pas son projet, il est vrai, car il avait projeté de détruire la religion chrétienne ; mais Néron avait formé le même dessein, et il ne l’exécuta pas ; mais Dioclétien et tous les tyrans qui ont répandu le sang des chrétiens ont pris la même résolution, et sont morts sans l’avoir pu effectuer : cela a-t-il empêché qu’on ne les ait mis, du consentement de tout le monde, au nombre des plus cruels persécuteurs ? Pour Aurélien, il est certain que, quoiqu’il ne fit, pour ainsi dire, qu’ouvrir la scène, elle ne laissa pas d’être ensanglantée par la mort de quelques martyrs. Ainsi c’est avec justice que Lactance, le grand Constantin, Paul Orose et les autres auteurs ecclésiastiques lui donnent rang parmi les ennemis de l’Église.


15. persécution sous dioclétien, maximien-galère et maximien-hercule.

Nous voici enfin arrivés à ces temps infortunés ; disons mieux, à ces heureux temps qui donnèrent au ciel tant de martyrs ; à ce règne de Dioclétien, qui fut comme inondé du sang des chrétiens. Et certes, quand même les règnes précédents auraient été pour l’Église aussi paisibles qu’ils furent en effet pleins de troubles et de sanglantes exécutions, celui-ci pourrait seul lui fournir assez de martyrs pour lui procurer la gloire d’être la mère d’une multitude presqu’infinie de Saints couronnés. Il est vrai, et l’on n’en peut disconvenir, que l’Église fut assez tranquille durant les premières années de ce prince, surtout dans les provinces de son obéissance ; de sorte que, s’il y eut alors quelques martyrs, ce ne fut point par les ordres de l’empereur qu’ils souffrirent, mais ou parce que les lois anciennes leur étaient contraires, ou que les gouverneurs et les juges aimaient le sang, ou qu’il s’y mêla quelqu’autre motif. L’année 293 donna commencement à la persécution. Dioclétien, pour rendre plus solennelle la dixième année depuis son avénement à l’empire, se fit dieu de son autorité privée, et voulut qu’on l’adorat[1]. Il fit couvrir de pierreries son habit et sa chaussure, quoique jusqu’alors les empereurs se fussent contentés des honneurs qu’on rendait aux magistrats, et qu’ils ne se distinguassent des particuliers que par une robe de pourpre ; et dès l’année suivante, Ménas, célèbre martyr d’Égypte, fut un des premiers qui signala sa foi à l’entrée de cette persécution[2]. Il arriva encore un événement qui contribua beaucoup à en augmenter la violence, et qui acheva de déterminer l’empereur à la perte des chrétiens. Il était dans l’Orient, où il offrait force sacrifices à ses dieux[3]. Et comme il cherchait l’avenir dans les entrailles des bêtes, les démons furent obligés d’abandonner leurs temples, en ayant été chassés par la vertu du signe de la croix que firent quelques chrétiens de la suite de l’empereur, ce qui troubla toute la cérémonie. Dioclétien en colère de cette aventure non-seulement voulut que tous les fidèles de sa maison ou qui demeuraient dans l’enceinte de son palais, sacrifiassent aux idoles, mais il envoya ses ordres aux gouverneurs des provinces et aux principaux officiers de ses armées, qui portaient que tout soldat qui refuserait d’immoler aux dieux serait cassé et déchu de tous les priviléges de la milice. Mais ce ne furent là que les préludes de cette effroyable persécution, qui commença l’année trois cent trois à désoler tout l’empire romain.

Maximien-Galère, que Dioclétien avait créé César, en fut le principal moteur, à l’instigation de sa mère,

  1. Eutrop. l. 9.
  2. Euseb. in chronic. Chron. Pase.
  3. Lact. de mort. pers. c. 10.