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la plupart de ceux qui avaient été arrêtés durant la plus grande violence furent trouvés sains et saufs. Et c’est cela même que les chrétiens de ce temps-là trouvaient de plus cruel dans cette persécution : ils reprochaient aux Gentils que leur intention, en tourmentant les fidèles qui étaient déférés à leur tribunal, était de tirer de leur bouche, non la vérité, mais le mensonge, et de perdre l’âme en même temps qu’ils faisaient périr le corps. C’est pourquoi la plupart des martyrs n’étaient livrés à la mort qu’après l’avoir été à toutes sortes de tourments. Souvent même on prenait soin de leurs plaies, par l’ordre exprès des juges, afin qu’étant refermées on pût les rouvrir par de nouvelles tortures, et faire de nouvelles plaies sur les anciennes cicatrices, ce qui est le comble de la cruauté ; et c’est celle qu’on exerça sur Origène, au rapport d’Eusèbe[1]. Ajoutez à tant de différents supplices la prison, avec toutes ses horreurs, ses chaînes, son obscurité, sa puanteur, ses horribles machines où l’on enfermait les pieds ; l’exil et les incommodités qui l’accompagnent ; les mines, ces tombeaux souterrains, où des hommes sont enterrés tout vivants[2]. En un mot, la rage, la fureur et l’inhumanité des juges et des bourreaux étaient montées à un tel excès, durant cette persécution, que saint Cyprien, qu’on n’accusera jamais de relâchement en matière de discipline, ne peut s’empêcher d’avouer que la chute des chrétiens trouvait en quelque sorte sa justification dans la cruauté des persécuteurs[3]. Et certes, Optat n’était pas d’un autre sentiment que nous, lui qui compare à un lion rugissant la persécution qui s’éleva en Afrique, par les ordres de Dèce et de Valérien[4]. Ce n’est donc pas une marque certaine qu’une persécution a été modérée, si quelques martyrs, réservés à de plus grands supplices, viennent tout d’un coup à recouvrer leur liberté, soit par la mort des tyrans, soit par une disposition secrète de la miséricorde de Dieu, qui veut bien donner la paix à son Église. Au reste, il est certain que cette persécution de Dèce emporta un très-grand nombre de fidèles en Afrique, comme on le fait voir dans les remarques sur les actes de saint Cyprien. Outre ceux-là, saint Fabien souffrit à Rome, sainte Agathe en Sicile, et saint Saturnin dans les Gaules.

Elle ne fit pas moins de progrès en Espagne, comme on le peut sûrement conjecturer d’une lettre écrite au nom de saint Cyprien et des autres évêques d’Afrique[5], par laquelle ces prélats disent que leur sentiment est qu’on dépose Martiale et Basilide, évêques espagnols, convaincus d’avoir pris des billets d’idolatrie. L’Église grecque se ressentit aussi bien que la latine de ce trouble excité par Dèce dans tout le monde chrétien. Eusèbe décrit les tourments que souffrit Origène, à Césarée[6] ; mais il ne dit point qu’il eût donné des marques de faiblesse, comme quelques-uns le prétendent. Enfin cette tempête fut si furieuse à Néocésarée, que saint Grégoire de Nysse, dans la vie de saint Grégoire Thaumaturge, nous dépeint cette ville comme une place prise d’assaut, où un vainqueur barbare et insolent fait tout passer au fil de l’épée. Les environs n’en étaient pas plus paisibles, puisqu’on dit qu’après que cet orage fut passé, ce saint évêque fit le tour du diocèse, pour y instituer des fêtes dans tous les lieux où il avait été martyrisé quelque chrétien. Ce fut alors que souffrirent saint Troade et saint Alexandre, qui de philosophe s’étant fait charbonnier, fut de charbonnier fait évêque et placé sur le siége de Comane par saint Grégoire Thaumaturge. À l’égard de ce qui se passa à Alexandrie et dans toute l’Égypte, nous en avons un témoin oculaire et irréprochable dans saint Denys, évêque de la ville patriarcale[7]. C’est dans une lettre qu’il écrit à Fabius, évêque d’Antioche, où, après avoir rapporté les noms de quelques martyrs, il ajoute qu’il y en a eu un très-grand nombre qui ont été déchirés et mis en pièces par les Gentils, dans les autres villes et dans les bourgades, sans compter une multitude infinie qui périt dans les déserts, par la faim et la soif, le froid et la nudité, le fer des voleurs et les dents des bêtes carnassières. Et dans une autre lettres à Domitius et à Didime, « il faut, leur dit-il, que vous sachiez que les hommes et les femmes, les jeunes gens et les vieillards, les soldats et les villageois, de tout âge et de toute condition, ont tous remporté des couronnes… » En un mot, la persécution fut si violente, qu’au rapport du même saint Denys, les fidèles s’imaginaient être enfin arrivés à ces jours malheureux prédits par le Seigneur dans son Évangile. Ce fut pour s’en mettre à couvert que saint Paul, premier ermite, s’enfuit dans le désert, suivant le témoignage de saint Jérôme, qui prend de là occasion de raconter de quelle sorte on éprouva la constance de deux martyrs, l’un desquels fut frotté de miel depuis les pieds jusqu’à la tête, et en cet état exposé en plein midi aux aiguil-

  1. Hist. l. 6, c. 59.
  2. Lucian. Epist. inter Cypr. 22. Cypr. Epist. 39.
  3. Epist. 56.
  4. Lib. 5 ad Parmenianum.
  5. Epist. 67.
  6. L. 6, c. 59.
  7. Apud Euseb. l. 6, c. 41.