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nommé un Cyclope, un Busiris, un Sciron, un Phalaris, un Gygès, un Thyphon : Rome et le sénat firent des prières publiques pour demander au ciel que ce détestable tyran ne revît jamais le capitole[1]. « Le bruit de ses cruautés inouïes venait sans cesse frapper les oreilles ; on n’entendait autre chose, par toute la ville, que le récit funeste des exécutions qu’il ordonnait : il faisait crucifier les uns, enfermer les autres dans le ventre des bêtes tuées fraîchement : ceux-ci étaient exposés aux lions et aux ours ; ceux-là étaient assommés à coups de bâton, sans que ce monstre eût aucun égard, ni à rang, ni à mérite ; car il tenait pour maxime, que pour affermir un trône il fallait le cimenter avec du sang. Les Romains ne pouvaient plus porter la pesanteur de ce joug tyrannique, ni voir sans horreur qu’il suscitait lui-même les délateurs, qu’il supposait des crimes, qu’il faisait périr l’innocence… » Hérodien en parle à peu près dans les mêmes termes[2]. Mais c’en est assez, et il faut maintenant exposer aux yeux des lecteurs l’affreuse peinture de la persécution de l’empereur Dèce. Car, à l’égard de ce qui se passa à Alexandrie, sous le règne des deux Philippes, on doit plutôt l’attribuer à une émotion populaire, qu’à une persécution ouverte, quoiqu’on puisse connaître par-là le peu de sûreté qu’il y a toujours eu pour les chrétiens, tant qu’ils ont été parmi les Gentils.


12. persécution sous dèce.

Personne jusqu’ici ne s’était encore avisé de douter que la persécution excitée contre l’Église, par l’empereur Dèce, n’eût été très-sanglante et très-cruelle, et les auteurs modernes étaient en cela d’accord avec les anciens historiens. Dodwel est le premier qui a découvert que les uns et les autres sont, ou d’infâmes calomniateurs, ou des imposteurs ridicules, et qui ont eu si peu d’égards pour la vérité et pour la vertu, qu’ils n’ont pas craint de donner, dans leurs écrits, une idée fausse et injurieuse d’un prince que le sénat n’a pas fait difficulté d’égaler à Trajan, d’un empereur que sa piété a mis au nombre des dieux, lequel, quoiqu’il crût être obligé de répandre le sang des chrétiens, pour le bien de la république et pour donner quelque chose à la religion du peuple, n’en avait toutefois usé ainsi qu’en se faisant une extrême violence, mais qu’il avait bientôt laissé agir sa douceur naturelle et cette noble ambition qui le possédait de faire la félicité de son siècle, comme il faisait déjà le bonheur de son empire. C’est avec de tels ou de semblables traits que Dodwel fait l’éloge de Dèce : mais que cet empereur soit mis, si l’on veut, au rang des bons princes, en ce qui ne regarde point la cause des chrétiens, je ne m’y oppose pas ; mais je ne puis m’imaginer qu’il se trouve quelqu’un, hors Dodwel, qui nie que la persécution dont il a été l’auteur n’ait été très-violente, et n’ait coûté la vie à un très-grand nombre de fidèles, dans toute l’étendue de l’empire romain. « Une bête feroce, dit Lactance[3], un monstre exécrable, Dèce enfin est venu, après plusieurs années, pour ravager l’Église… Et comme s’il n’avait été élevé que pour cela seul à ce haut degré de puissance, à peine son impiété a-t-elle commencé à attaquer Dieu, que Dieu l’en a précipité. » Lactance, comme l’on voit, prétend que la mort honteuse de Dèce est une juste punition de sa fureur contre le christianisme. Saint Denys d’Alexandrie, le grand Constantin et plusieurs autres auteurs ecclésiastiques disent la même chose[4], mais surtout saint Cyprien[5], qui commence ainsi un de ses livres : « La paix vient enfin d’être rendue à l’Église ; Dieu s’est déclaré pour elle ; il l’a vengée de ses ennemis, et nous jouissons, sous son auguste protection, d’une tranquillité dont les incrédules croyaient le retour difficile, et les impies le jugeaient tout à fait impossible… » Ces paroles de saint Cyprien marquent assez que la persécution avait été violente. Le même Saint, dans une de ses lettres[6], félicite l’Église sur sa constance et sur sa foi. Car, après avoir exalté la victoire des martyrs qui avaient déjà reçu la couronne et encouragé ceux qui combattaient encore pour l’obtenir, il parle de la grandeur de leurs supplices, en ces termes : « Toute leur rigueur n’a pu ébranler la foi de ces Saints, quoiqu’on leur fit de nouvelles plaies dans celles qui n’étaient pas encore fermées, quoique ce ne fût plus sur leurs membres, mais sur leurs blessures, que les bourreaux exerçaient leur cruauté… Les entrailles étaient détachées du corps, le sang coulait de tous côtés… »

Cependant, malgré tant d’autorités si pressantes, Dodwel soutient toujours que cette persécution a été fort modérée, et qu’elle n’a jamais été poussée jusqu’à répandre le sang des chrétiens ; et cela est si vrai, dit-il, que lorsqu’elle fut apaisée,

  1. Jul. Capitol.
  2. Herodianus, l. 7 et 8.
  3. Lib. de mortibus persecut., c. 4.
  4. Apud Eus. l. 7, c. 1. Constant. Mag. ad Sanct. cætum.
  5. Lib. de Lapsis.
  6. Epist. 10.