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répandre le sang, et qu’il avait en effet répandu celui d’une infinité de personnes. En sorte que le sénat, après sa mort, porta ce jugement : qu’il devait, ou jamais ne venir au monde, ou jamais n’en sortir, parce qu’il avait été, et trop cruel, et tout ensemble trop nécessaire a la république. Mais voyons maintenant si la durée de cette persécution a répondu à sa violence.

Dodwel la renferme toute dans l’espace de deux ans, et il la fait finir aux jeux séculaires qui furent célébrés la douzième année du règne de Sévère ; « ce prince, dit Dodwel, ne voulant pas qu’une si grande solennité fût souillée par le sang ou déshonorée par les supplices. » Dodwel cependant ne se souvient plus qu’il a dit ailleurs que ces jeux publics ont souvent fait naître des persécutions, et il ne l’a dit qu’après Tertullien[1]. « Les chrétiens, dit ce Père, dans son apologétique, ne sont regardés comme ennemis de l’empire que parce qu’ils refusent de rendre aux empereurs un honneur ou vain, ou criminel… Ô ! qu’on a raison de condamner notre conduite ! De quoi aussi nous avisons-nous, de censurer par une vie sainte les plaisirs des Césars, et d’insulter à leurs divertissements par une chasteté outrée et une sobriété hors de saison ? Pourquoi, durant ces jours de réjouissances, ne pas orner de festons et de couronnes de fleurs les portes de nos logis ? Et pourquoi ne faisons-nous pas pâlir le soleil en plein midi, par un grand nombre de flambeaux allumés ? N’est-ce pas, après tout, une chose tout à fait honnête, lorsque la solennité l’exige, de changer votre maison en un agréable lieu de prostitution, et pouvez-vous mieux honorer le prince, que d’en faire un temple de Vénus ?… » C’était cette conduite sage et modeste qui rendait les chrétiens odieux aux gentils ; cette sainte tristesse qu’ils faisaient paraître durant les solennités profanes faisaient croire qu’ils étaient chagrins des prospérités de l’État et ennemis de la fortune des empereurs.

Au reste, il est certain que cette persécution dura plus de deux ans en Afrique, puisque, pendant tout le temps qu’elle y fut allumée, on y compte six gouverneurs[2], outre Minuce Timinien, dont il est parlé dans les actes de sainte Perpétue. J’avoue que le feu n’en fut pas toujours égal ; tantôt plus âpre et tantôt plus modéré, selon que les gouverneurs étaient portés à la cruauté ou à la douceur. La même persécution ne fut pas non plus de moindre durée dans l’Égypte, comme on peut facilement l’inférer de l’histoire d’Eusèbe[3]. Car cet auteur nous apprend que, la dixième année de Sévère, Léonide, père d’Origène, souffrit le martyre ; que ce savant homme n’avait pour lors que dix-sept ans ; que l’année suivante il fut chargé du soin d’enseigner la doctrine chrétienne aux catéchumènes ; que quelque temps après il renonça à la profession de grammairien pour se donner tout entier à l’étude de l’Écriture sainte ; qu’il vendit tous ses livres, moyennant seulement quatre oboles ; que celui qui les acheta devait lui fournir chaque jour pour sa nourriture. Il vécut ainsi plusieurs années, poursuit Eusèbe, en vrai philosophe… « durant plusieurs années il marcha nu-pieds… durant plusieurs années il s’abstint de boire du vin… » Enfin Eusèbe, après avoir fait l’éloge de toutes les vertus d’Origène, poursuit de cette sorte : « sa vie étant donc un modèle exposé aux yeux des hommes, il y en eut plusieurs qui devinrent les imitateurs de sa vertu ; en sorte que, parmi les gentils mêmes… il s’en trouva qui, ayant été arrêtés, endurèrent généreusement le martyre. Plutarque fut le premier de ces heureux disciples… » C’est ce qui nous a obligés de mettre leur mort environ vers l’année deux cent dix, parce que ce terme de plusieurs années, dont Eusèbe se sert tant de fois dans ce récit, ne peut se restreindre à un moindre nombre que de sept ou huit. Au reste, cette supputation s’accorde avec celle que fait Sulpice-Sévère, qui met trente-huit ans entre la persécution de Sévère et celle de Dèce. Or, Dèce n’étant monté sur le trône qu’en l’année deux cent quarante-neuf, il faut nécessairement prolonger la persécution de Sévère jusqu’en l’an deux cent onze, qui fut la dernière de son règne.


8. persécutions sous antonin et caracalla.

Elle ne finit pas, toutefois, avec sa vie, du moins dans quelques provinces de l’empire, s’il est vrai que l’avis de Tertullien à Scapula ait été écrit après la mort de cet empereur. Et certes, il y parle en des termes qui font présumer que, non-seulement Sévère, mais aussi Caracalla son fils ne régnaient déjà plus. « Le père[4] d’Antonin, dit-il au chap. 4, a eu quelque considération pour les chrétiens… » Et plus bas : « Sévère apprenant que quelques personnes de qualité faisaient profession du christianisme, il ne leur fit aucun mauvais traitement… »

  1. Сар. 35.
  2. Tertullien à Scapula.
  3. Lib. 6, c. 1 et c. 2.
  4. Sévère.