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il arrive souvent que le peuple qui nous hait vous prévient et, sans attendre vos arrêts, se jette sur nous de son autorité privée, nous poursuit à coups de pierres et nous fait périr par le feu. » Je prie le lecteur de remarquer en passant, que cela était fort ordinaire au peuple de répandre le sang des chrétiens et de pousser sa fureur jusqu’à les massacrer tumultuairement et sans aucune forme de justice ; ce que Dodwel nie cependant plus d’une fois dans sa dissertation. Au reste, il importe peu que cette apologie ait été écrite à Rome ou à Carthage, puisqu’étant adressée aux premiers officiers de l’empire, il paraît assez que la persécution dont elle parle n’était pas renfermée dans un seul endroit ; et Tertullien même s’y sert souvent du mot de président, qui était un terme affecté aux gouverneurs de province, et qui désignait leur rang et leur dignité. Il ne parle pas de cette persécution d’une manière plus favorable et d’un ton plus radouci, dans ses autres ouvrages. Il dit, dans son premier livre aux nations, « que les chrétiens confessent dès qu’ils sont interrogés, qu’ils se font gloire d’être condamnés, et qu’il faut employer la violence pour les contraindre à nier ce qu’ils ont une fois confessé sans violence… » Dans son exhortation aux martyrs, qu’il nomme des martyrs désignés et prêts de souffrir, il les encourage à endurer généreusement toutes sortes de supplices. Enfin il s’écrie, dans son Scorpiaque[1] : « La canicule est montée sur l’horizon : le cinocéphale vomit de tous côtés le feu de sa rage ; la persécution est allumée : ici le glaive, là les flammes, là le cirque, tout est mis en usage pour tourmenter les chrétiens. Les prisons sont remplies de fidèles qui, n’ayant éprouvé que les fouets et les ongles de fer, soupirent après le martyre qu’ils n’ont fait que goûter en passant. Pour nous autres qui ne nous trouvons pas sous la main des persécuteurs, nous sommes destinés à leur fournir le plaisir de la chasse, et nous attendons à tous moments qu’on lâche sur nous une meute de bourreaux… notre nom seul nous rend l’abomination des hommes… l’on nous produit devant les puissances de la terre, l’on nous interroge, l’on nous met à la question, l’on nous égorge. » L’Octave de Minutius Félix parle comme l’apologétique de Tertullien[2]. « Est-il un spectacle plus digne de toute l’attention du ciel qu’un chrétien combattant contre la douleur ? Il est tranquille aux menaces des tyrans ; les plus affreux supplices ne lui font pas faire le moindre mouvement irrégulier ; le bruit de la mort ne l’épouvante pas, et il foule aux pieds toutes ses horreurs… » Et voulant montrer que toute la valeur des héros de l’ancienne Rome n’avait rien qui pût égaler la grandeur du courage des héros du christianisme, « Combien, dit-il, en a-t-on vu parmi nous, qui n’ont pas seulement mis un bras dans un brasier ardent, comme Mutius Scévola fit autrefois, mais qui s’y sont lancés tout entiers, sans faire entendre le moindre gémissement ! Le sexe le plus faible et l’âge le plus tendre se moquent des gibets et des tortures, affrontent les bêtes les plus farouches, et vont hardiment à la mort, sous quelque effrayante figure qu’elle se présente à eux. » Et l’on ne peut douter que la persécution, dont Minutius fait ici la description, ne fût alors allumée dans Rome et celle-là même durant laquelle Natal, après avoir abjuré l’hérésie des Théodotiens, eut les épaules déchirées de coups de fouets, pour le nom de Jésus-Christ, et pour cette considération fut reçu à la communion de l’Église, par le pape saint Zéphirin, auquel il montra les flétrissures et les plaies dont son corps était couvert.

Mais Tertullien, direz-vous, dans son apologétique de l’édition de Junius, nomme Sévère parmi les empereurs qui n’ont rien entrepris contre les chrétiens. Je le veux ; quoique les autres éditions, quoique les manuscrits, quoiqu’Eusèbe même qui cite cet endroit, aient l’empereur Vère, et non l’empereur Sévère ; j’accorde à Dodwel que ce soit ce dernier dont il soit fait partout mention, qu’en peut-il inférer, sinon que cette persécution fut très-sanglante, sans que Sévère l’eût autorisée par son édit ? Cependant Spartien dit le contraire, et il en rapporte un de ce prince contre les chrétiens. C’est en vain que Dodwel en rejette la cause sur l’importunité du peuple, qui l’arracha à l’empereur, fatigué des clameurs continuelles du cirque et du théâtre, et qu’il prétend détourner par-là de la personne de Sévère le nom odieux de persécuteur ; et ce n’est pas avec plus de succès qu’il entreprend de diminuer la violence et l’injustice de cet édit, en disant qu’il ne fut pas moins décerné contre les juifs que contre les chrétiens. Ainsi Dodwel aura bien de la peine à justifier Sévère du juste reproche que toute la postérité peut lui faire d’avoir ensanglanté son règne par une cruelle persécution, d’autant plus qu’au rapport de Spartien, il aimait à

  1. Cap. 1.
  2. Ce célèbre avocat de Rome y écrivait ce dialogue au même temps que Tertullien publiait son apologétique.