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Car l’on ne peut différer plus tard que jusqu’en deux cents la mort des martyrs Scillitains, qui souffrirent en Afrique, sous le proconsul Saturnin. Le consulat de Claudius, marqué dans leurs actes, en est une preuve convaincante.


7. persécution sous sévère.

Eusèbe est si fort persuadé que sous l’empereur Sévère la persécution fut générale, qu’il n’a point fait difficulté d’avancer[1] « que, dans toutes les Églises du monde, il y eut des fidèles qui combattirent et donnèrent leur vie pour la véritable religion. » Dodwel, ne pouvant résister à la force de ces paroles, en paraît ébranlé, jusqu’à avouer que « la persécution, à la vérité, se répandit dans toutes les provinces de l’empire ; » mais se repentant aussitôt de cet aveu, et se mettant peu en peine de ce qu’on pourra penser d’une rétractation si soudaine et si mal colorée, il écrit que très-peu de martyrs souffrirent alors ; « ce qu’il est facile, dit-il, de prouver par l’histoire même d’Eusèbe, où cet auteur, ni n’en rapporte un grand nombre, ni ne dit point en avoir omis un grand nombre. » Mais je ne comprends pas comme on peut faire dire à Eusèbe tout le contraire de ce qu’il dit en effet, et ce qu’il confirme par plus d’un endroit de ce sixième livre, et particulièrement au chapitre second, où, à l’occasion de la persécution qui s’excita à Alexandrie, il se sert de ces mêmes termes : « lorsque le feu de la persécution était le plus allumé, et qu’un nombre infini de fidèles recevait tous les jours la couronne du martyre. » Il est vrai qu’il n’en nomme que très-peu, parce que cela n’a aucun rapport à son dessein, soit qu’il en eût donné une liste dans un ouvrage exprès, soit qu’en cet endroit il ne parle des martyrs qu’en passant, et qu’il n’ait en vue qu’Origène, comme la suite le fait assez connaître. Mais il marque positivement, au chapitre premier, qu’il en passe sous silence une infinité ; « car, après avoir dit qu’il n’y a point d’endroit où il n’y ait eu des martyrs illustres, il ajoute que c’est à Alexandrie que la persécution a fait de plus grands ravages, où plusieurs généreux athlètes souffrirent. » Il ne nomme ensuite que Léonide[2]… Il ne laisse pas cependant, dans la suite de ce récit, de faire mention d’autres martyrs que des disciples d’Origène, lorsqu’il dit, à la louange de ce grand homme, que les martyrs de Jésus-Christ, soit qu’ils fussent connus d’Origène, soit qu’ils lui fussent inconnus, « recevaient de lui toute sorte d’assistances et de bons offices, et il les rendait à tous indifféremment, avec une promptitude merveilleuse, sans craindre le préfet Aquila, successeur de Létus. » Mais nous avons encore un témoin de cette persécution, d’un très-grand poids ; c’est Clément d’Alexandrie, qui, au rapport d’Eusèbe, écrivait ses stromates ou tapisseries, sous l’empire de Sévère. Il parle ainsi, au livre second. « Nous voyons tous les jours comme de nouveaux débordements de martyrs ; on les tourmente à nos yeux, on les brûle, on les égorge… » Et certes, la consternation était si grande parmi les chrétiens d’alors qu’un auteur de ce temps-là, nommé Jude, écrit que la venue de l’antéchrist, prédite de siècle en siècle, n’était pas fort éloignée[3].

Mais de tous les écrivains ecclésiastiques, il n’y en a point qui ait laissé un tableau plus fidèle de cette persécution que Tertullien, ni qui l’ait représentée avec des couleurs plus vives. Elle lui a donné lieu de composer plusieurs ouvrages, d’où nous tirerons seulement quelques passages, pour servir de montre et d’échantillon, puisqu’autrement il faudrait copier ses livres entiers. Voici le premier crayon qu’il en fait, dans son apologétique[4] : « vous attachez les chrétiens à des croix… vous les liez à des poteaux… vous leur arrachez les entrailles avec des ongles de fer… on nous coupe la tête, on nous expose aux bêtes… on nous brûle tout vifs… on nous relègue dans des îles désertes… Il se plaint qu’on viole impunément les tombeaux des chrétiens… qu’on les appelle, par une raillerie sanglante, des fagots de sarment[5], » parce que, par une cruauté inouïe, on les attachait à des pieux revêtus de javelles de sarment, comme d’une robe, auxquelles on mettait le feu ensuite. Enfin, il conclut de cette sorte cette éloquente pièce[6] : « Courage donc ; ne vous relâchez point, ô équitables juges ! mais plus équitables encore au goût du peuple, si, pour lui complaire, vous vouliez immoler tous les chrétiens : persécutez, tourmentez, condamnez, exterminez-nous… » Car le peuple et les magistrats étaient également animés à la perte des chrétiens, ce qui fait dire à Tertullien[7] : « toutes les fois que vous vous déchaînez contre les chrétiens, vous le faites en partie de votre propre mouvement et en partie pour obéir aux lois ; mais

  1. Lib.6, hist. c. 1.
  2. Père d’Origène.
  3. Euseb. l. 6, с. 7.
  4. Сар. 12.
  5. Cap. 30.
  6. Сар. 50.
  7. Apolog. 37.