faites, et nous recevons sans murmurer une mort dont une main auguste a signé l’arrêt. » Ce même apologiste nomme Sagaris, évêque, qui souffrit alors le martyre sous Servilius Paulus, proconsul d’Asie. Polycrate joint à ce même martyr l’évêque Traséas et quelques autres fidèles, et Appolonius fait aussi mention de Traséas[1].
Tout cela nous fait voir qu’Eusèbe a parlé juste, quand il a dit que, sous l’empire de Marc-Aurèle, l’animosité et la fureur des peuples firent par tout le monde un nombre presqu’infini de martyrs. « Car ces émotions populaires, entraînant avec la multitude des gouverneurs et les juges, les poussaient jusqu’à répandre beaucoup de sang. » Nous en voyons un exemple dans la mort des martyrs de Lyon, qu’Eusèbe propose exprès, afin qu’on pût connaître par-là ce qui se passait dans les autres provinces. L’auteur de la chronique pascale[2] s’accorde avec Eusèbe, en mettant sous chaque année de Marc-Aurèle les noms de divers martyrs. Nous avons un écrivain plus ancien encore que cet auteur et Eusèbe même ; c’est Théophile, évêque d’Antioche, qui vivait sous Marc-Aurèle. Voici comme il parle[3] : « Jusqu’ici l’on n’a point cessé de persécuter les chrétiens qui adorent le vrai Dieu ; la sainteté de la vie qu’ils mènent n’a pu les garantir de la fureur des persécuteurs. On assomme les uns à coups de pierres, on égorge les autres, et l’on voit tous les jours des fidèles déchirés impitoyablement de verges, etc… » Enfin Denys, évêque de Corinthe, nous apprend que sous Marc-Aurèle les mines étaient peuplées de chrétiens ; c’est dans une lettre qu’il écrit au pape Sotère, « où il le loue de la charité qu’il a de fournir aux fidèles qui travaillent aux métaux les choses nécessaires à la vie. » Et c’est en vain que Dodwel nous vante si fort la clémence de Marc-Aurèle ; Capitolin nous le dépeint tout autrement, et non-seulement comme un prince adonné à toutes sortes de superstitions, mais encore comme un juge inexorable et d’une sévérité outrée contre ceux qui étaient prévenus de grands crimes. On sait assez, et Dodwel lui-même n’en disconviendra pas, que les chrétiens étaient mis, en ces temps-là, par les empereurs et leurs sujets, au nombre de ces fameux coupables. Mais, après tout, l’ingratitude de Marc-Aurèle ne parut que trop à l’endroit des chrétiens, puisque bien loin de leur témoigner sa reconnaissance pour avoir par leurs prières obtenu de la pluie à son armée réduite par la soif aux dernières extrémités, dans la guerre qu’il faisait aux Marcomans, il s’avisa d’attribuer ce secours imprévu et miraculeux à son Mercure[4]. On voit, dans le cabinet du roi, une médaille d’argent qui confirme ce fait, rapporté par Dion[5]. Tertullien veut qu’à l’occasion de cette pluie, Marc-Aurèle ait donné un rescrit en faveur des chrétiens : les auteurs ecclésiastiques, comme Apollinaire, Eusèbe et d’autres, parlent aussi de cette pluie ; mais presque tous les savants rejettent comme supposé ce rescrit de Marc-Aurèle, qui se trouve à la fin de l’apologie de saint Justin[6] : ils ne croient pas non plus que la légion toute composée de chrétiens, qu’on appelait la Fulminante, doive son nom à cette aventure. Eusèbe même remarque que les païens[7] ont parlé de ce miracle, sans toutefois l’attribuer aux prières des nôtres. Les uns veulent que ce soit un effet des charmes de la magie, et les autres, une récompense de la piété de l’empereur envers les dieux. Rome conserve encore aujourd’hui dans la colonne Autonienne un monument de cette merveille, mais attribuée, suivant l’opinion des Gentils, à la puissance de Jupiter ; car, parmi plusieurs bas-reliefs qui représentent les belles actions de Marc-Aurèle, on voit un Jupiter donnant de la pluie[8]. Baronius nous a laissé une description de cette fameuse colonne, au second tome des annales, mais nous l’avons plus heureusement et plus sensiblement représentée dans les estampes de Pierre Saint-Bartoli.
Sous l’empereur Commode, nos affaires, dit Eusèbe[9], demeurèrent dans un état assez tranquille, et, par la miséricorde de Dieu, l’Église jouit d’une profonde paix par toute la terre. Après sa mort, Pertinax qui lui succéda, ayant aussi été tué, Didius Julianus fut élevé par des soldats à l’empire. Mais comme il se trouva alors partagé entre trois concurrents ; Sévère, qui s’empara de la Pannonie ; Niger, qui se rendit maître de l’Orient ; et Albin, qui se saisit des Gaules ; pendant que tout était en confusion dans l’État et que trois grandes armées portaient la guerre et le trouble dans toutes les parties du monde, le calme et la paix régnaient dans l’Église. Cette paix ne fut interrompue que vers la dixième année de Sévère, et la deux cent deuxième de Jésus-Christ, quoique durant ce temps elle fût un peu altérée par le martyre de quelques chrétiens[10].
- ↑ Lib. de Pasch. apud Eus. l. 5, c. 18. Epist. ad Vict. Lib. advers. Cataphryg. apud Eus. l. 5 hist.
- ↑ Ou d’Alexandrie.
- ↑ Lib 3 ad autholicum, sub fin.
- ↑ Dio Xiphil.
- ↑ P. Pagius ad an. 174.
- ↑ Lib. 5, hist. c. 5.
- ↑ Capitolin, Claudien, Thémistius.
- ↑ Jupiter Pluvius.
- ↑ Lib. 5 hist. c. 21.
- ↑ Euseb. et alii.