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ajoute qu’il fut aussitôt mis au rang des martyrs. Le même Attale, pendant qu’on lui faisait faire le tour de l’amphithéâtre, avait un écriteau attaché devant lui, où on lisait ces mots, en latin : « C’est ici Attale le chrétien. » Et enfin la même lettre porte, en termes exprès, « que ceux qui ne rougissaient point d’avouer ce qu’ils étaient se voyaient sur l’heure chargés de fers comme étant chrétiens, sans être prévenus d’aucun autre crime. » Il est vrai, nous n’en disconvenons pas, que de pareils forfaits ont été souvent imputés aux chrétiens ; mais autre chose est d’être accusé, autre chose d’être convaincu ; et il est clair, par la seule lecture du rescrit de l’empereur, qu’il fut donné contre les chrétiens, comme chrétiens, et non comme coupables d’inceste et d’homicide. « Car ce prince » ordonne que ceux qui confesseraient fussent mis à mort, et qu’au contraire ceux qui renonceraient fussent renvoyés absous. » Si donc l’édit eût été décerné contre des criminels d’homicide et d’inceste ainsi que Dodwel le soutient, les chrétiens qui auraient nié ces crimes auraient dû être déclarés innocents, et les apostats qui les auraient avoués auraient dû être envoyés au supplice ; et cependant il arrivait tout le contraire, car on faisait mourir ceux qui confessaient Jésus-Christ, et ceux qui le renonçaient étaient mis en liberté. C’est encore une pure idée de Dodwel, et qui est sans fondement, que cette restriction qu’il donne à l’édit de Marc-Aurèle, le réduisant aux seuls chrétiens de Vienne et de Lyon ; ce qu’il aurait bien de la peine à montrer, puisque ni la lettre de ces Églises, ni aucun autre monument de l’antiquité ne sauraient lui en fournir aucune preuve. Au reste, il faut comprendre dans cette persécution le martyre de saint Benigne de Dijon, celui de saint Symphorien d’Autun, et ceux de quelques autres martyrs. Nous croyons aussi qu’on doit rappeler à ce règne de Marc-Aurèle la mort de plusieurs martyrs qui ont souffert en Bourgogne, et que la conformité des noms a rangés sous celui d’Aurélien[1].

D’ailleurs, si les martyrs de Lyon ont souffert, la dix-septième année de Marc-Aurèle, il est impossible que ç’ait été à leur occasion qu’Athénagoras ait composé son apologie pour les chrétiens. Or, cette pièce même nous fournit un argument d’où l’on peut inférer que la lettre des Églises de Vienne et de Lyon, qui est une relation de la mort de ces Saints, n’était pas venue à sa connaissance. Car, parlant des calomnies dont on noircissait l’innocence des chrétiens, il dit « qu’elles ont si peu d’apparence de vérité, qu’il n’y a imposteur au monde assez impudent pour oser dire qu’il ait été témoin des crimes qu’on leur impute. Nous avons, ajoute-t-il, des esclaves ; les uns en ont plusieurs, les autres en ont peu ; ils sont témoins de toutes nos actions, et nous ne pouvons rien leur cacher de tout ce que nous faisons ; cependant on n’en trouvera point jusqu’ici qui ait osé déposer contre nous rien de pareil. » Si la lettre des Églises eût été connue à Athénagoras, eût-il pu parler ainsi ? Car, voici ce qu’on y lit : « on prit aussi quelques esclaves païens qui servaient chez des chrétiens, lesquels… nous accusèrent faussement… de faire des repas de Thieste et des noces d’Œdipe[2]… et d’autres crimes… » Nous passons volontiers à Dodwel ces persécutions excitées par les cris tumultueux du peuple, et fortifiées de l’autorité des magistrats des villes ; mais il faut aussi, qu’il demeure d’accord avec nous, qu’elles empruntaient ensuite le glaive de ceux qui avaient droit de s’en servir, et que souvent une émotion populaire devenait une information juridique, lorsque du peuple elle passait aux gouverneurs des provinces et aux officiers de l’empereur. Athénagoras nous le dira encore, en termes formels : « On outrage l’innocence ; on attaque la réputation des gens de bien, par des calomnies, et le nombre des calomniateurs est si grand que les proconsuls et les juges délégués par vous dans les provinces ne peuvent suffire à l’instruction de tant de procès, ni à entendre toutes les accusations qu’on porte devant eux. » Voici encore quelque chose de plus fort ; nous le prendrons dans l’apologie de Méliton[3]. C’est que l’on vit en ce temps-là des édits impériaux donner du poids à la persécution. « On voit de nos jours, dit-il, des choses inconnues aux âges supérieurs ; la piété est persécutée ; la vertu est inquiétée par de nouveaux édits qui courent toute l’Asie, et d’impudents délateurs… se servent des rescrits du souverain pour exercer impunément leurs infâmes brigandages sur des personnes de mérite… » Il est vrai que Méliton semble douter si ces ordonnances sont en effet émanées des empereurs ; mais cela ne nous fait rien, puisqu’enfin elles rendaient permises les horribles violences qu’on faisait aux chrétiens, et qu’elles armaient la cruauté, impuissante d’elle-même, d’une autorité sacrée. « Si ces choses, dit Méliton à l’empereur, se font par vos ordres, elles sont bien

  1. Voyez Franc. Bosquet, l. 2, hist. eccl. Gallic., c. 26 et seq.
  2. C’est-à-dire, de faire des repas où l’on sert de la chair d’homme, et d’avoir des commerces incestueux.
  3. Apud Euseb. l. 5 hist., c. 26.