6. persécution sous marc-aurèle.
Nous avons déjà remarqué que Dodwel attribue à l’empereur Antonin la mort de saint Polycarpe, de Justin et de quelques autres martyrs, contre le sentiment général des savants, qui la font arriver sous le règne de Marc-Aurèle. Nous ne nous arrêterons pas davantage à éclaircir ce différend, ayant assez d’autres preuves de la persécution excitée par cet empereur. Nous ne saurions toutefois nous empêcher d’observer en passant que Dodwel se trompe encore, lorsqu’il prétend qu’on ne peut inférer de la première apologie de saint Justin que la persécution dont il parle se soit étendue à plus de trois martyrs, parce que l’apologie n’en nomme que trois, puisque, dès le commencement même de l’ouvrage, l’auteur insinue l’idée d’une persécution presque générale. Voici ses paroles : « ce que nous venons de voir arriver dans votre ville, ô Romains ! par l’ordre d’Urbicius, et ce que les gouverneurs ordonnent contre toutes les règles de la justice et de la raison… ce sont sans doute les démons qui font leurs efforts pour nous procurer la mort… » Il fait ensuite le récit de celle de Ptolomée et de ses compagnons, que le préfet, sans avoir égard à leur innocence, venait d’envoyer au supplice pour avoir confessé le nom de Jésus-Christ. Mais voyons maintenant ce que Dodwel pense de la persécution de Marc-Aurèle.
« Il soutient que l’empereur n’eut aucune part à cette persécution, et que le nombre des martyrs qu’elle enleva fut bien moins considérable qu’on ne le croit communément. Il le réduit aux seuls martyrs de Lyon ; il ne veut pas même qu’ils aient souffert pour la cause de la religion, mais parce qu’ils furent convaincus, sur la déposition de leurs esclaves, de meurtre et d’inceste. Il n’est donc pas étonnant, dit-il, que le plus doux et le plus clément des empereurs ait donné un édit contre les chrétiens, mais on doit plutôt admirer sa modération et son équité, en ce qu’il n’a pas voulu que les peines portées par cet édit tombassent indifféremment sur tous les chrétiens, son intention étant qu’il n’eût d’effet qu’à l’égard de ceux de Vienne et de Lyon. Il ajoute que cela se passa la septième année de l’empire de Marc-Aurèle, parce que ce fut durant la solennité des jeux, qui selon lui n’arrivait que tous les cinq ans, et non la dix-septième, suivant le calcul d’Eusèbe. Que pour les autres persécutions qui parurent dans les autres provinces, sous le même empereur, elles n’étaient que des suites de celle de Lyon, et voici comme il explique la chose. Aussitôt, dit-il, que la mort des chrétiens de Lyon fut sue dans la Grèce[1], et que les motifs, quoique supposés, en eurent été publiés parmi le peuple, il se fit dans cette province un soulèvement général contre tous ceux qui faisaient profession du christianisme, qui toutefois n’eut aucune suite sanglante, à cause que les magistrats des villes, qui d’ordinaire dans ces rencontres étaient les seuls qui remuassent, n’avaient pas le pouvoir de condamner à mort. Ce fut cette émotion populaire qui donna lieu à l’apologie d’Athénagoras. Les mêmes nouvelles, et avec les mêmes fausses circonstances, étant aussi passées en Asie, y excitèrent les mêmes mouvements de fureur contre les chrétiens, ce qui obligea pareillement Apollinaire et Méliton d’écrire pour la défense de leurs frères, que la calomnie opprimait en tant de lieux. » Il faut maintenant répondre en détail à tous ces chefs.
En premier lieu, nous faisons voir dans l’avertissement que nous avons mis à la tête des actes des martyrs de Lyon, que leur mort doit être rapportée à la dix-septième année de Marc-Aurèle, et nous le prouvons par l’histoire d’Eusèbe, qui se trouve en cela conforme à sa chronique. Pour ce qui regarde les jeux de Lyon, qui, au sentiment de Dodwel, ne se célébraient que tous les cinq ans, nous ne voyons pas qu’il l’appuie d’aucune raison démonstrative ; il n’en a que de probables : mais nous lui opposons le témoignage de M. de Marca et celui du P. Pagi, qui trouvent que ces sortes de jeux se solennissaient souvent chaque année ; mais, quand bien même la solennité ne s’en serait faite que tous les cinq ans, on n’en pourrait rien tirer de certain, puisque tantôt on les reculait, tantôt on les avançait, et, l’ordre étant une fois rompu, on ne songeait plus à le rétablir. On n’estime pas, au reste, qu’en ce qui regarde l’époque qui doit fixer le commencement du pontificat d’Éleuthère, on doive abandonner Eusèbe et les anciens écrivains ecclésiastiques, pour suivre Eutiche, auteur grec du dixième siècle. Il faut maintenant voir si ces saints martyrs ont été condamnés, ou comme coupables de deux des plus grands crimes, ainsi que le prétend Dodwel, ou seulement comme chrétiens. Il n’y a pour cela qu’à ouvrir la lettre que les Églises de Vienne et de Lyon écrivent aux Églises d’Asie : « on y rencontre d’abord, que le gouverneur de Lyon ayant demandé à Attale s’il était chrétien, Attale répondit qu’il était chrétien ; et la lettre
- ↑ La Grèce est appelée ici Hellas : il y a une ville de Thessalie qui se nomme de même.