qu’Ignace soutint plusieurs tempêtes que la fureur de Domitien avait excitées contre l’Église. Il importe donc peu que les chrétiens exilés par Domitien aient été rappelés du vivant de cet empereur, comme Tertullien semble l’insinuer, ou sous le règne de son successeur Nerva. Eusèbe attribue ce rétablissement à ce dernier, sans s’arrêter au passage de Tertullien, qu’il ne laisse pas de citer ; et il appuie son sentiment sur le témoignage de ceux qui ont écrit l’histoire de ce temps-là. Clément d’Alexandrie dit la même chose[1], et Dion de Xiphilin fait rappeler par Nerva ceux qui avaient été convaincus d’impiété sous son prédécesseur ; c’est ainsi qu’il nomme les chrétiens. Enfin saint Jean ne retourna de son exil à Éphèse, qu’après que Domitien eut été tué, et que le sénat eut cassé tout ce qui avait été fait par cet empereur.
Au reste, le seul exemple de saint Jean montre assez que cette persécution ne demeura pas dans les bornes qu’il plaît à Dodwel de lui prescrire, et qu’elle fut, au contraire, poussée jusqu’à répandre le sang des fidèles ; car, quoique la vie de cet apôtre eût été conservée par un miracle, il n’en avait pas été moins condamné à la perdre. L’Apocalypse a consacré la mémoire du martyre de saint Antipas, qui souffrit à Pergame, dans le même temps. Dodwel veut que ce fut par une émotion populaire ; mais d’où l’a-t-il appris ? Du moins les actes de ce martyr portent qu’il fut à la vérité arrêté par un peuple furieux et animé contre les chrétiens, mais ils ajoutent qu’il fut conduit devant le juge. Ce magistrat le menaça de lui faire endurer les supplices prescrits par les lois romaines, s’il n’obéissait aux édits des empereurs, et s’il continuait à mépriser le culte des dieux. Et sur le refus qu’il en fit, il fut traîné devant le temple de Diane, et enfermé dans un taureau d’airain, qu’on avait fait rougir au feu, où il finit sa vie. Tout cela, ce me semble, a fort l’air d’une persécution ouverte. Mais rien n’est plus à notre avantage, que ce que Brutius dit, dans la chronique et dans l’histoire d’Eusèbe. Il y dit formellement que, sous Domitien, plusieurs chrétiens endurèrent le martyre… que de ce nombre fut Domitille qui, avec beaucoup d’autres, fut envoyée en exil. Et sans doute la considération du sexe et les égards qu’on eut pour la naissance de ces personnes adoucirent leur peine. Mais pour ceux que rien ne distinguait dans le monde, on doit dire, ou qu’ils périrent par divers supplices, ou qu’ils furent dépouillés de tous leurs biens, ou qu’un bannissement honteux fut leur partage. Et ce n’est nullement là une simple conjecture, puisque Dion le rapporte ainsi, en termes exprès. « La même année, dit cet auteur, Domitien fit mourir plusieurs chrétiens, et entr’autres le consul Flavius Clémens, quoiqu’il fût oncle de l’empereur, et qu’il eût épousé Flavie Domitille, sa parente très-proche, l’un et l’autre ayant été accusés du crime d’impiété. Ce crime fit périr un très-grand nombre de ceux qui abandonnant l’ancienne religion des Romains avaient embrassé celle des Juifs (car les païens appelaient les chrétiens, des gens convaincus de judaïsme, d’athéisme et d’impiété). L’empereur eut quelqu’égard pour Domitille ; il se contenta de l’exiler dans l’île Pandataire : mais pour Glabrion, prévenu du même crime, il fut tué par l’ordre de Domitien, quoiqu’il eût été le collègue de Trajan, dans une des plus considérables magistratures de l’empire. » Ainsi on peut dire, avec Tertullien, que cet empereur éprouva la constance des chrétiens par le fer et par l’exil : ainsi l’on peut recevoir sans scrupule les monuments qui nous dépeignent le combat et la mort de quelques martyrs, qui furent couronnés durant la persécution de Domitien.
Les édits de Domitien ayant été cassés par l’autorité de Nerva et par un décret du sénat, l’Église commença à jouir, avec tout l’empire, du calme qui, sous ce nouvel empereur, succéda à tant d’orages. Dodwel veut qu’il n’ait point été interrompu jusqu’au règne de Dèce, et que durant tout ce long intervalle, hors quelques persécutions particulières et locales, les chrétiens eurent toute liberté de professer leur religion, et même de l’étendre et de se multiplier. Mais quoiqu’il soit vrai que les persécutions ne se soient pas de telle sorte répandues par toute la terre, qu’il ne se soit passé aucun jour, et peut-être aucune année sans qu’il y ait eu beaucoup de sang répandu, il n’est pas moins vrai qu’elles ont été très-fréquentes depuis le règne de Domitien jusqu’à celui de Dèce, mais seulement locales, et souvent renfermées dans un canton ou dans une province ; soit que la mauvaise disposition des gouverneurs et leur génie porté à la cruauté les y excitassent ; soit que cela arrivât par une subite émotion du peuple, ou à l’instigation des prêtres des faux dieux ; soit enfin que le prince même y eût part. Nous ferons voir, en un mot, qu’il y en a eu que des édits publics ont autorisées, et qui ont ôté la vie à beaucoup de martyrs.
3. persécution sous trajan.
Nous commencerons par Trajan, qui succéda à Nerva. Dodwel avoue que ce prince fit mourir saint
- ↑ Lib. de divite salvando.