mière persécution. « Nous faisons gloire, dit Tertullien[1], de ce qu’un monstre tel que Néron ait été le premier à répandre notre sang. Et Sévère Sulpice écrit, dans son histoire sacrée[2], qu’à la vérité on commença à se jeter tumultuairement sur les chrétiens, comme sur les auteurs de l’incendie de Rome, mais qu’on continua ensuite à les poursuivre dans les formes, par des lois et des édits. » Nous avons aussi le témoignage de Paul Orose[3], qui assure en termes formels que « Néron s’appliquait dans Rome à tourmenter les chrétiens, pendant que par son ordre on les poursuivait dans les provinces, avec une égale fureur. » Lactance nous insinue la même chose, lorsqu’après avoir rapporté que saint Pierre avait retiré de l’idolâtrie plusieurs Romains, il ajoute[4] : « ce que Néron ayant appris, et que non-seulement à Rome, mais aussi dans toutes les provinces on abandonnait en foule le culte des idoles pour embrasser la nouvelle religion, il crut qu’il ne devait point perdre de temps, et qu’il pourrait détruire ce céleste édifice et ruiner entièrement la piété qui le soutenait ; il fut donc le premier qui persécuta les chrétiens, et il fit attacher à une croix saint Pierre, leur chef… mais ce ne fut pas impunément ; car Dieu regardant l’oppression de son peuple… » D’où l’on peut conclure, en même temps, que le motif qui engagea Néron à se déclarer contre les chrétiens fut l’intérêt de ses dieux, qu’il voyait abandonnés de jour en jour par une multitude infinie de personnes, quoique l’incendie n’ait pas peu contribué à l’y engager encore davantage.
2. persécution sous domitien.
Après la mort de Néron, l’Église respira un peu et demeura tranquille durant les troubles qui agitèrent l’empire ; mais, Domitien étant monté sur le trône, la persécution reprit de nouvelles forces. « Car cet empereur, dit Eusèbe[5], fit gloire d’être le successeur de Néron, dans son impiété et dans la guerre sacrilége que ce détestable prince avait faite à Dieu. » Dodwel ne peut se défendre d’admettre cette persécution, mais il l’abrège le plus qu’il peut. Selon lui, à peine a-t-elle duré un an ; il veut de plus qu’elle ait été fort modérée, qu’on n’y ait point répandu de sang, qu’on n’y ait vu ni supplices, ni tortures. Il prétend prouver son peu de durée, par un argument invincible, tiré de Brutius, rapporté par Eusèbe[6], qui raconte que Domitille, nièce du consul Flavius Clémens, fut envoyée en exil avec d’autres chrétiens, l’année du consulat de son oncle, et la quinzième du règne de Domitien. Or, ce prince entra au mois de septembre dans la quinzième année de son empire et de sa charge de tribun, et au même mois de l’année suivante il fut tué, après avoir fait cesser la persécution, ainsi que l’assure Tertullien : donc, selon Dodwel, on ne peut étendre la persécution au-delà d’une année. Voici les paroles de ce Père, dans son apologétique. Domitien, qui avait une portion de l’âme de Néron, avait voulu d’abord faire quelques essais de cruauté ; mais il ne continua pas, et ayant rappelé ceux qu’il avait exilés… » Dodwel conclut de ce passage que Domitien eut à la vérité quelque dessein de former une persécution, mais qu’il ne fit que l’ébaucher ; qu’il voulut être cruel, mais qu’il ne le fut pas en effet ; qu’il se contenta de reléguer ceux qui confessèrent Jésus-Christ, sans répandre leur sang ni leur ôter la vie ; et si l’on en veut croire cet apologiste des tyrans, les monuments de l’Église les plus certains ne peuvent nous fournir, durant ce petit intervalle, que des noms de chrétiens exilés.
Mais toute l’induction qu’on peut tirer de cet endroit de Brutius, dont Dodwel se sert pour prouver le peu de durée de cette persécution, ne conclut autre chose, sinon que la tempête excitée par Domitien contre l’Église l’ébranla avec plus de violence, la quinzième année de cet empereur, mais qu’elle avait déjà commencé à l’agiter plusieurs années auparavant. Et Eusèbe lui-même, qui sans doute avait lu Brutius (car nous devons à Eusèbe tout ce qui nous reste de cet auteur) ; Eusèbe, dis-je, en met le commencement deux ans avant l’exil de Domitille, et il est suivi en cela par l’auteur de la chronique pascale. Le savant père Pagi, marchant sur les traces de ces deux anciens historiens, le fixe en l’année 93, quoique le cardinal Baronius le fasse remonter deux ans plus haut. Saint Jérôme n’est pas moins contraire à l’opinion de Dodwel, puisqu’il attache le martyre de saint Jean à la quatorzième année de Domitien. Et certes il y avait déjà longtemps que ce prince impie voulait passer pour dieu et se faisait rendre les honneurs divins, ainsi que nous l’apprenons, non-seulement d’Eusèbe et des autres auteurs chrétiens, mais des païens mêmes. Enfin les actes de saint Ignace, martyr, écrits par un auteur contemporain et reconnu par Dodwel, prouvent invinciblement que cette persécution a été beaucoup plus longue qu’on ne prétend : ces actes portent