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reprochait aux autres. Les plus méchants de tous les hommes veulent paraître justes, eux qui surpassent en inhumanité les bêtes les plus farouches. » Il poursuit, et il relève leur justice avec les mêmes couleurs dont il a dépeint leur clémence. « Ils nomment justice toutes les horreurs dont les anciens tyrans, dans les plus noirs accès de leur rage, accablaient l’innocence malheureuse ; et, quoiqu’ils soient des exemples affreux de cruauté et d’injustice, ils veulent passer pour des modèles de sagesse et d’équité. Enfin, leur adressant la parole : est-il donc possible, leur dit-il, ô âmes perdues ! que vous ayez pour la justice une aversion si prodigieuse que vous n’appréhendiez pas de couvrir les plus grands crimes de son nom sacré, et l’innocence vous est-elle devenue si odieuse que vous la jugiez indigne d’un supplice ordinaire ? » Que si le même auteur, dans son livre de la mort des persécuteurs, ne compte que cinq empereurs qui aient mérité de porter un nom si infâme, on ne doit pas inférer de là qu’il n’y en ait jamais eu d’autres. Car Lactance ne parle que de ceux que le ciel avait frappés d’une mort funeste, pour avoir été les auteurs des diverses persécutions dont l’Église avait été agitée, comme le titre et toute la suite du livre le font assez connaître. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’il ne nomme ni Trajan, ni les Antonins, dont la mort avait été paisible et naturelle, avec Néron, Valérien et ces autres monstres, de qui la fin avait été accompagnée de circonstances également sanglantes et honteuses. On doit raisonner de même en ce qui regarde l’apologétique : le dessein de son auteur étant de montrer aux païens que la religion chrétienne n’avait eu pour ennemis que des princes dont la mémoire et les ordonnances étaient en horreur chez les païens mêmes, il ne devait pas nommer parmi les persécuteurs d’autres princes que les Romains regardaient comme les pères de la patrie et comme des empereurs très-religieux.


§ I.

1. persécution sous néron.

Après avoir examiné les divers arguments dont Dodwel se sert pour prouver que l’Église a peu de martyrs, et en avoir montré le faible et le peu de solidité, il nous faut maintenant parcourir avec lui chaque persécution en particulier. On les met d’ordinaire au nombre de dix. La première qui se présente est celle de Néron, durant laquelle une multitude innombrable de chrétiens fut exterminée à l’occasion de l’incendie de Rome. C’est ainsi que parle un historien[1], qui sans doute ne doit pas être suspect. « On ajoutait même la moquerie aux tourments, et l’on faisait de leur mort un sujet de divertissement pour le peuple. On couvrait les uns de peaux de bêtes, afin que des chiens trompés par cette cruelle ressemblance les déchirassent ; on en attachait d’autres à des croix ou à des poteaux qu’on plantait au coin des rues, et l’on y mettait le feu, pour servir de flambeaux durant la nuit. Ces victimes infortunées de la fureur de Néron et de la haine du peuple, ces misérables étaient traités avec tant d’inhumanité, au sentiment du même historien, que, quoiqu’ils méritassent le dernier supplice, ils ne laissaient pas, tout criminels qu’ils étaient (c’est toujours le même auteur qui parle), d’attirer la compassion de ceux qui les haïssaient. Dodwel osera-t-il rejeter ce récit, et croira-t-il que Corneille Tacite veuille se rendre partial pour nous ? On nous dira peut-être que cette persécution ne s’étendit pas hors les murs de Rome, « parce que l’on ne pouvait pas, sous la moindre couleur, faire tomber le soupçon de cet embrasement sur ceux qui étaient absents de Rome lorsqu’il arriva. Mais Dodwel s’imagine sans doute qu’il n’y eut que la seule accusation de ce crime qui fit que l’on se saisit des chrétiens, ce qui n’est nullement la pensée de Tacite ; car lorsque cet historien écrit que « Néron, voulant faire cesser le bruit qui le faisait auteur ce cet incendie, fit prendre adroitement le change aux Romains, et substitua en sa place les chrétiens, qu’il savait être odieux au peuple, pour leurs crimes, il nous fait assez connaître qu’avant même que le feu eût été mis à Rome, les chrétiens passaient déjà pour des gens dévoués à la haine publique. » Et en effet, l’historien ajoute, un peu après, que « si on les confondit avec les incendiaires, ce n’est pas qu’ils fussent convaincus de l’être ; mais c’est qu’on les regardait comme des victimes de l’aversion du genre humain. » Suétone, parlant des supplices que Néron avait fait souffrir aux chrétiens, ne dit pas un mot de l’incendie de Rome ; il les nomme seulement « un genre d’hommes qui introduisaient un culte nouveau, plein de superstitions, et qui exerçaient la magie. » Ce que cet auteur rapportant à l’occasion des ordonnances publiées par Néron nous laisse un fort préjugé pour croire que ce prince furieux fit quelque édit contre les chrétiens, et c’est avec raison qu’il est reconnu par les Pères de l’Église pour l’auteur de la pre-

  1. Corn. Tac. 1. 5, Annal.