Page:Lactance - De la mort des persécuteurs de l’Église, 1850.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on trouve peu d’édits rendus contre les fidèles, et plusieurs de ces princes affectaient si fort la réputation d’être cléments, qu’ils voulaient même paraître ne punir les coupables qu’à regret. Il ne faut point douter, ajoute-t-il, que les ministres de princes si débonnaires ne se soient fait un devoir d’imiter la douceur de leurs maîtres. » Mais pour renverser cet argument de Dodwel, il n’y a qu’à présupposer cette vérité constante, que ce qui excitait les persécutions contre l’Église n’était pas toujours la rigueur des édits, ou l’animosité des juges particuliers, ou les clameurs du peuple, comme le répète si souvent Dodwel ; mais la disposition de la jurisprudence romaine, dont les lois ne souffraient dans l’empire aucune religion étrangère[1]. Or, les chrétiens non-seulement voulaient introduire une religion étrangère et nouvelle (au moins les Romains le pensaient ainsi), mais ils soutenaient de plus que toute autre religion que la leur était fausse et ridicule. La puissance des empereurs, quelqu’absolue qu’elle fût en toute autre chose, était contrainte de se soumettre à ces lois, surtout lorsque, du consentement de tout l’empire, elles se trouvaient fortifiées par de nouveaux décrets. Ce qu’Origène confirme d’une manière élégante et ironique : le sénat, dit-il[2], le peuple et les empereurs ont ordonné qu’il n’y aurait plus de chrétiens. Tertullien reconnaît pareillement qu’il y avait des lois rendues contre le christianisme[3]. On ne doit donc pas s’étonner, après cela, si malgré la paix donnée par les empereurs à l’Église, les chrétiens ne laissaient pas d’être souvent déférés et punis, comme on peut le voir par la mort de saint Apollonius, qui fut condamné à perdre la tête, par un arrêt du sénat, rendu en exécution d’un ancien décret de cette compagnie, qui avait par-là prétendu empêcher que les chrétiens, après avoir été dénoncés, ne fussent renvoyés absous. Par la même raison, Marin ne put éviter la mort, quoique Galien eût fait publier un édit en faveur des chrétiens. Mais quand des lois si sévères venaient à recevoir une nouvelle force des ordonnances du prince, c’était pour lors que la persécution s’allumait avec violence ; on recherchait les chrétiens avec une extrême exactitude, et, lorsqu’ils étaient pris, on leur faisait souffrir tout ce que la rage des persécuteurs pouvait inventer de supplices nouveaux. Ce n’est pas que ces ordonnances du prince fussent toujours nécessaires pour autoriser la persécution, et nous voyons par cette fameuse lettre de Pline le jeune à Trajan, qu’il ne laissait pas de poursuivre et condamner les chrétiens, quoiqu’il n’y eût alors, selon Dodwel même, aucun édit rendu contr’eux. Il n’osa toutefois d’abord suspendre ces cruelles exécutions, sans un rescrit de l’empereur, n’ayant pris la résolution de le consulter qu’après en avoir fait mourir plusieurs, et que la multitude de ceux qui restaient à punir l’eût déterminé à faire cesser les supplices. Au reste, nous apprenons de Lactance que le nombre de ces édits n’était pas si peu considérable que le prétend Dodwel, puisque, selon cet ancien auteur[4], « un pro-consul, se servant du pouvoir que lui donnait sa charge, ramassa en sept volumes les rescrits et les ordonnances des empereurs contre les chrétiens, afin que les juges pussent trouver dans ce recueil tous les genres de tourments dont ils devaient se servir pour punir ceux qui seraient convaincus de n’adorer qu’un seul Dieu. » Et il ne sert de rien de nous opposer la modération de quelques empereurs et leurs inclinations à la clémence, puisque ceux-là même à qui les auteurs païens attribuaient ces vertus ont été en effet les plus cruels persécuteurs des chrétiens. Et l’on ne s’étonnera pas de ce que la conduite de ces princes envers les fidèles, quelqu’inhumaine qu’elle fût, ne passait pas pour cruauté, si l’on considère que les chrétiens étaient regardés comme des sacriléges, des ennemis publics et des gens noircis des plus énormes crimes. Suétone en était bien persuadé, lorsqu’entre les ordonnances dignes de louange qu’il dit avoir été publiées par Néron, il met celles qui décernaient des peines contre les chrétiens : une sorte d’hommes, dit-il, adonnés à une nouvelle superstition et à la magie. Pour la douceur qu’on attribue aux juges et aux gouverneurs de provinces, la voici dépeinte par Lactance, avec des traits admirables.

« Ils font sentir au corps des douleurs exquises et recherchées, et ils ne craignent rien davantage que de voir mourir ceux qu’ils tourmentent. Leur cruauté insatiable et opiniâtre leur fait prendre soin des plaies qu’ils ont faites ; ils les guérissent, afin que les membres renouvelés soient en état de soutenir de nouveaux tourments, et que les veines se remplissent d’un nouveau sang qu’ils puissent encore répandre. Cependant, continue Lactance, j’en ai vu plusieurs qui se glorifiaient de leur conduite modérée en ce point, et qui ne craignaient pas de dire que le temps de leur administration n’avait point été souillé par les cruautés qu’on

  1. Cicer. lib. 2, de leg.
  2. Hom. 9 in Josue.
  3. Apol. c. 37.
  4. Lib. 5 inst., cap. 11. Domitius.