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la vierge Encratis, et surtout les dix-huit martyrs de Saragosse. Enfin, l’exemple de sainte Perpétue et de sainte Félicité, dont se sert Dodwel, pour prouver que l’on n’a rien omis dans ces calendriers, puisqu’on y a donné place à des femmes et à des esclaves ; cet exemple, dis-je, prouve tout le contraire de ce qu’il prétend. Et nous ne nous servirons, pour l’en convaincre, que des paroles propres de saint Augustin. Voici comme il parle, au sermon 283. « Nous célébrons aujourd’hui la fête de deux saintes martyres ; et il conclut ainsi : des hommes en ce jour ont aussi mérité l’honneur du triomphe ; oui, ce même jour a été témoin de la victoire que des hommes généreux ont remportée en répandant leur sang ; cependant ce n’est pas leur nom qui a rendu ce jour recommandable (mais celui de ces admirables femmes) ; non que leur sexe soit plus noble que celui des hommes, mais parce qu’il y a quelque chose de plus merveilleux à voir la faiblesse d’une femme triompher de l’ancien ennemi des hommes. »


6. noms de martyrs omis dans les nouveaux calendriers.

Mais pourquoi remonter si haut, et quel besoin de recourir à des exemples si éloignés, puisqu’on peut observer la même chose dans les calendriers d’aujourd’hui, qui, bien loin de comprendre les noms des martyrs qui ont souffert dans les royaumes et dans les pays étrangers, ne comprennent pas même les noms de ceux qui ont rougi de leur sang la terre la plus proche ? La plupart des Églises ne reconnaissent pas leurs propres patrons, et il arrive souvent que les martyrs ou les évêques d’une Église reçoivent d’un peuple étranger l’honneur que leur propre peuple ne songe pas à leur rendre. Cela provient, selon ma pensée, de ce que leurs sacrées reliques ont été transférées dans un autre lieu que celui qu’ils ont honoré de leur mort, ou parce que leurs actes se sont perdus. « Saint Patrocle, au rapport de saint Grégoire de Tours[1], était peu honoré du peuple de Troyes ; sa sainteté était obscure, et son nom aussi peu connu que l’histoire de son martyre ; mais, dès qu’elle eut été trouvée, on vit s’élever une magnifique église sur son tombeau, et sa fête célébrée tous les ans avec un concours et une dévotion incroyable. » Voici encore une autre raison que Fronton allègue du peu de martyrs qui se rencontrent dans les anciens calendriers[2] ; c’est, dit ce docte chanoine régulier, que l’on n’y insérait que les noms des saints dont la fête était solennisée par l’assemblée du peuple et par l’oblation publique du sacrifice ; ce qu’il prétend appuyer d’un passage de saint Grégoire-le-Grand[3] : « Nous avons, dit ce saint pontife, les noms de presque tous les martyrs, recueillis dans un volume et distribués dans tous les jours de l’année, auxquels nous avons accoutumé de célébrer solennellement la messe à leur honneur. Ce n’est pas, ajoute-t-il, que ce recueil contienne toutes les circonstances de leur mort, ni les divers tourments qu’ils ont endurés ; on y a seulement marqué le nom du Saint, le jour et le lieu de son martyre. Ainsi l’on peut, chaque jour du mois, honorer plusieurs fidèles de divers siècles et de différentes provinces, comme ayant reçu ce jour-là la couronne du martyre. » Voilà l’un des plus anciens martyrologes, où l’on fait chaque jour mémoire de plusieurs martyrs. Celui qu’on attribue à saint Jérôme[4], qui précède certainement tous ceux qui ont du moins paru jusqu’ici, met pareillement à chaque jour plusieurs martyrs. Fronton trouve encore de quoi fortifier son sentiment, dans ces paroles de saint Astère, évêque d’Amasée[5] : si quelqu’un, dit-il, avait assez de dévotion envers les martyrs pour vouloir honorer par une fête particulière la mort et les souffrances de chacun d’eux, toute l’année serait pour lui une fête continuelle. Et c’est ce qui a donné lieu sans doute à établir les solennités générales qui renfermassent tous les martyrs d’une province. Le calendrier de Carthage en marque plusieurs : il y a une homélie de saint Chrysostome des martyrs d’Égypte ; et rien n’est plus ordinaire dans les écrits des saints Pères que ces sortes de discours, qui ont pour titre, des martyrs, ou de tous les martyrs.

Au reste, comme ces deux calendriers nous fournissent les noms de plusieurs Saints qui jusqu’ici nous étaient inconnus, et nous ôtent d’une manière presqu’infaillible et par leur seule lecture tout ce qui pourrait nous rester de doute touchant quelques autres, nous avons cru les devoir joindre aux actes que nous rapportons, comme un supplément de ceux qui nous manquent. Et il ne faut point douter que si nous avions les calendriers des autres Églises, nous n’en tirassions les noms d’un très-grand nombre de martyrs. Ce qu’il est facile de prouver par quantité de passages des Pères, où par occasion il

  1. Lib. 1. mirac. c. 64.
  2. In prænot. ad Calend. a se vulgat.
  3. Lib. 7, Ep. 9, indict. 1.
  4. V. hujus Martyrol. Florentin. edit. Lucæ 1668.
  5. In Encom. de SS. Martyrib.