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et peut ainsi suppléer à ce qui manque au recueil d’Eusèbe, qui ne nous a rien donné des martyrs de cette Église ; car il faut remarquer, continuet-il, que ce calendrier ne parle pas seulement des martyrs d’Italie, mais de ceux des autres provinces de l’Occident ; et cependant ils ne font tous ensemble qu’un très-petit nombre de martyrs. Mais j’en appelle de Dodwel à Dodwel même : croit-il de bonne foi que dans tout l’Occident il n’y ait jamais eu aucun autre martyr que ceux qui sont compris dans ce calendrier de Buchérius, et que l’Orient n’en reconnaisse point, hors ceux dont Eusèbe a fait le catalogue ? Je ne puis comprendre comment un homme qui sans doute ne passera jamais pour étranger dans l’histoire ecclésiastique se soit de lui-même renfermé si mal à propos dans un défilé d’où il lui sera si difficile de se dégager.

Nous lui soutenons donc que ce calendrier unique qu’il emploie pour fortifier son opinion ne peut lui être d’aucun usage. 1o Parce que chaque Église particulière avait son calendrier, qui lui était propre et tout différent de celui des autres Églises, dans lequel il était très-rare qu’on écrivit le nom de quelqu’autre martyr étranger, quand même il eût été d’une Église voisine. Tel est le calendrier romain de Buchérius. 2o Il s’en fallait beaucoup que l’on écrivît dans ces calendriers le nom de tous ceux qui souffraient le martyre dans la ville ou dans la province où était cette Église particulière. 3o On doit conclure de ces deux premiers chefs que plusieurs martyrs, qui nous sont maintenant inconnus ou qui nous paraissent douteux parce qu’ils nous viennent d’un endroit suspect, seraient reconnus de nous aujourd’hui sans aucune difficulté, si nous avions les calendriers de toutes les Églises particulières. Examinons ces trois points en peu de mots.


4. chaque église avait son calendrier.

De tous les calendriers qui ont précédé les martyrologes ordinaires, il n’y en a que deux qui soient venus jusqu’à nous. Le premier est celui de Buchérius, qui a été fait à Rome, au quatrième siècle, sous le pontificat de Libère. Le second est celui de Carthage, qui fut dressé et rendu public au cinquième siècle. Or, il est évident que ni l’un ni l’autre n’a été écrit pour toute l’Église d’Occident. Car, pour celui de Buchérius, il est tellement propre à l’Église de Rome, que lorsqu’il fait mention de saint Cyprien, il ajoute aussitôt l’endroit de Rome où la fête de ce saint évêque se célébrait : d’où il est aisé de conclure que ce calendrier ne contenait que les noms des martyrs dont la solennité se faisait dans les églises et les titres de cette ville. Mais ce qui doit mettre la chose hors de doute, c’est que ce même calendrier ne contient que le nom des évêques de Rome, et ne dit pas un mot des évêques des villes voisines et des églises qui sont, pour ainsi dire, sous les murs de Rome. À l’égard du calendrier de l’Église de Carthage, le seul titre décide d’abord en notre faveur : dans ce livre-ci est marqué le jour de la mort des martyrs et des évêques dont l’Église de Carthage fait l’anniversaire. Il n’y est parlé que des évêques de Carthage. Car, hors le nom de saint Augustin, si célèbre en tous lieux, et celui de quelques martyrs des plus fameux, on n’y en remarque aucun, ni d’évêque, ni de martyr qui ne soit de cette Église. Une preuve d’ailleurs que ce calendrier n’était pas commun à toutes les Églises de l’Afrique, c’est qu’on n’y trouve point plusieurs solennités de celle d’Hippone : par exemple, on n’y trouve point saint Fructueux et ses compagnons, à l’honneur de qui saint Augustin a fait un discours[1]. On n’y fait aucune mention des vingt martyrs dont ce saint docteur a prononcé le panégyrique[2] ; on n’y parle point non plus de saint Félix et de saint Gennade, anciens martyrs d’Usale, et loués dans le livre des miracles de saint Étienne.

Au reste, qu’il y eût pour chaque Église un calendrier particulier, c’est ce que Sozomène nous apprend par occasion au cinquième livre de son histoire, où, parlant de deux villes de la Palestine[3], il observe que, quoiqu’il n’y eût que quatre lieues de distance entre ces deux villes, qu’elles fussent soumises à une même juridiction temporelle, qu’elles eussent les mêmes magistrats, les mêmes officiers de police, en un mot les mêmes lois et les mêmes coutumes civiles, elles n’avaient cependant rien de commun pour le spirituel et pour la juridiction ecclésiastique. « Car, dit cet historien, chacune avait son évêque, son clergé, ses jours de fètes particuliers, consacrés à la mémoire de ses propres martyrs et des évêques qui l’avaient gouvernée, » et par conséquent un calendrier particulier, où ni évêque, ni martyr étranger n’était inscrit. Il est vrai que dans les Églises patriarcales on récitait, durant les saints mystères, les noms de quelques évêques des autres Églises ; mais comme cela ne se pratiquait que pour mar-

  1. Serm. 273.
  2. Serm. 325.
  3. Gaze ou Ascalon et Constance.