DISSERTATION sur le
NOMBRE DES MARTYRS
ET L’HISTOIRE DES PERSÉCUTIONS[1]

§ I.
1. dissertation de dodwel sur le petit nombre des martyrs.
Il n’y a personne qui n’ait été surpris de voir, parmi les dissertations du sieur Henri Dodwel[2] sur les œuvres de saint Cyprien, celle qui a pour titre : Du petit nombre des Martyrs. Cet auteur, homme d’ailleurs illustre par sa grande érudition et par la connaissance qu’il a de l’antiquité, après avoir fait l’apologie des tyrans et avoir tâché de décréditer les auteurs qui lui sont contraires, ou du moins après avoir fait quelques efforts pour les détourner dans un sens qui favorise son opinion ; cet auteur, dis-je, prétend prouver qu’il y a eu très-peu de chrétiens qui aient souffert pour la foi, durant les anciennes persécutions, et que cette foule de martyrs dont l’Église catholique honore la mémoire dans son office et dans ses martyrologes, n’y a été introduite qu’à la faveur de certains récits fabuleux et par l’autorité de quelques moines oisifs qui ont pris soin de les répandre parmi les fidèles, dont ils ont impudemment surpris la crédulité. Nous ne croyons pas que, quelque légère teinture qu’on ait de l’histoire ecclésiastique, on puisse ignorer que la tradition de l’Église touchant le grand nombre des martyrs qu’elle révère n’y ait été reçue par le consentement unanime de toutes les Églises du monde et suivant le sentiment général de tous les Pères ; cependant nous avons cru devoir nous étendre un peu au long sur cette matière, soit pour empêcher que les ennemis des catholiques ne prennent leur silence pour un aveu de leur défaite, et pour ne pas laisser à des gens qui tirent avantage de tout la vaine joie d’un triomphe imaginaire ; soit pour venger l’injure qu’on fait aux martyrs et repousser la calomnie dont on prétend noircir l’Église, que saint Augustin appelle la Mère des martyrs. Et afin d’éviter toute confusion, nous suivrons le même ordre qu’a suivi Dodwel : nous examinerons d’abord les objections générales qu’il propose, et, descendant ensuite dans le détail, nous parcourrons avec lui chaque persécution en particulier.
2. objections générales de dodwel.
« Dodwel nous objecte, en premier lieu, que, si le nombre des martyrs eût été aussi considérable que nous le prétendons, il eût été presque impossible que leurs noms se fussent perdus. Car comme, suivant le témoignage de saint Cyprien[3], on en faisait mémoire tous les ans, leurs noms étaient écrits dans les fastes de l’Église, afin qu’on pût célébrer leur fête selon le rang qu’ils avaient dans ces martyrologes. Au reste, ces sortes de registres
- ↑ Cette dissertation sert de préface au recueil des Actes des martyrs publié par Dom Thierri Ruinart, religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur : Acta primorum Martyrum sincera et selecta, ex libris cum editis tum manuscriptis collecta, eruta vel emendata, notisque et observationibus illustratu, etc., Paris 1689, in-4o, Amsterdam 1713, in-fol., Vérone 1731, in-fol., et Augsbourg 1802, in-8o. Nous avons suivi la traduction de Drouet de Maupertuy, publiée à Paris, 1708, 2 vol. in-8o. Voyez ci-dessus l’avis de l’éditeur p. V, et le t.I de Butler, p. LXI.
- ↑ Imprim. à Oxford en 1684.
- ↑ Ep. 39, edit. Oxon.