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diable, qui, nonobstant les souffrances intolérables qu’il avait à subir, songeait moins à sortir de la citerne, qu’à s’y cacher en sûreté contre les terribles menaces qui lui figeaient le sang dans les veines.


Enfin les lumières s’éteignirent, les pas et les cris s’éloignèrent : on renonçait à rejoindre le démon, qui n’avait fait que se montrer, et on allait se coucher, sous l’influence de cette apparition infernale, que le cauchemar devait renouveler dans un pénible sommeil. Scarron aurait dormi plus tranquillement, s’il avait pu poser ses pieds et appuyer sa tête sur une surface solide ; mais, à chaque instant, il lui fallait inventer une posture moins incommode, arc-bouter ses pieds aux interstices des parois de la citerne, arrêter le perpétuel balancement de la corde mobile, et maintenir au-dessus de l’eau le seau qui s’enfonçait sous le poids de son corps. Ses mains rouges et glacées s’efforçaient, de toute la puissance de leurs nerfs, à trouver un point d’appui : vingt fois il tenta une ascension périlleuse en se hissant le long de la corde, et il n’atteignait le milieu du puits que pour retomber bientôt à son point de départ. La fièvre, par bonheur, survenait alors et ranimait son énergie.


Il vit poindre le jour, avec l’espoir de la délivrance, et après trois heures de tortures inouïes, qu’il fut tenté de terminer en se laissant couler au fond de l’eau, il entendit une marche lente et avinée s’avancer du côté de la citerne, et il ouvrait déjà la bouche pour crier, préférant risquer sa vie une dernière fois plutôt que de mourir cent fois par minute ; d’ailleurs, il se flattait que son piteux état le justifierait du soupçon d’être le diable en personne ;