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— Il est mort, je crois, dit Belzimir. Pauvre jeune homme !

À ce moment, le bruit du trot d’un cheval parvint jusqu’à eux, et bientôt parut un cavalier. On ne pouvait distinguer son visage, que cachaient le bord d’un grand chapeau en feutre et aussi le collet relevé d’un imperméable.

Belzimir s’approcha de l’étranger, aussitôt que son cheval eut mis le pied sur le pont et lui demanda :

— Monsieur, de grâce, donnez-moi un coup de main ! ce jeune homme…

— Un accident ? fit l’inconnu, quand il eut aperçu le blessé. Et au son de sa voix, Bruno se mit à gronder.

— Oui, monsieur, un accident !… Il est mort, je crois, ce jeune homme ; mais nous ne pouvons le laisser là, n’est-ce pas ?… Veuillez m’aider, Monsieur ; nous le transporterons à la maison ; c’est tout près d’ici.

— Impossible ! dit l’étranger. Je suis pressé d’arriver à destination. Voici le prix de passage ! ajouta-t-il, en jetant une pièce de monnaie sur le pont. Adieu !

Ayant dit ces remarquables paroles, le cavalier fouetta son cheval, qui partit au galop.

— Hein ! s’écria Belzimir. En voilà un singulier individu, Mlle Roxane ! Refuser de nous aider, dans une situation si embarrassante !

— Qu’allons-nous faire ? demanda Roxane.

Elle s’approcha du blessé et elle posa sa main sur son cœur.

— Il vit ! s’exclama-t-elle. Son cœur bat ! Belzimir, il faut le transporter à la maison tout de suite !

— C’est vite dit, Mlle Roxane ; mais comment ferons-nous pour le transporter ?… Il a près de six pieds, et il doit peser dans les cent-cinquante livres. Je…

— Cours vite à la maison chercher la bouteille de cognac, qui est dans le buffet de la salle d’entrée ! dit Roxane à son domestique.

— Vous laisser seule ici, Mlle Roxane !

— Ne crains rien pour moi et va, sans perdre un instant !

Pendant l’absence de Belzimir, la jeune fille prit un foulard de soie blanc qu’elle portait autour de son cou, et elle en enveloppa la tête saignante du blessé. Il avait dû se frapper la tête sur le garde-corps du pont, en tombant de cheval, et la blessure qu’il s’était faite était large et profonde.

Quand Belzimir revint, apportant la bouteille de cognac, Roxane imbiba son mouchoir de cette boisson et en humecta les lèvres et le front du jeune homme, puis, aidée de Belzimir, elle parvint même à lui faire avaler quelques gouttes du liquide. Le blessé ouvrit les yeux.

— Monsieur, lui dit Belzimir, si vous pouviez vous tenir debout, je vous conduirais à la maison. Essayez de vous lever, je vous prie !

Le blessé, avec l’aide du domestique, put se lever ; mais aussitôt, il retomba dans les bras de Belzimir, tandis que des plaintes inarticulées s’échappaient de sa bouche.

Roxane, encore une fois, parvint à lui faire avaler un peu de cognac. Il ouvrit de nouveau les yeux et aperçut la jeune fille, pour la première fois. Une expression d’étonnement se peignit sur ses traits.

— Monsieur, dit Roxane au blessé, je suis seule ici avec mon domestique. Nous ne pouvons pas vous porter jusqu’à la maison. Je vous en prie, essayez de vous lever et de marcher !

— Bianco ? demanda le blessé.

— Votre cheval ? Il est ici, tout près.

— Veuillez l’appeler. Mademoiselle, balbutia le jeune homme.

— Bianco ! — appela Roxane.

Aussitôt le cheval s’approcha, et apercevant son maître, il se mit à hennir et à piocher le sol.

— En m’appuyant sur votre bras, et aussi sur Bianco, dit le jeune homme à Belzimir, je pourrais peut-être marcher jusqu’à la maison… si ce n’est pas trop loin.

Et l’on partit…

Ce fut une assez lugubre procession ; de plus, on allait très-lentement. Quoique la distance fut courte, le blessé perdit deux fois connaissance durant le trajet, de la tête du pont aux Barrières-de-Péage. Il avait fallu l’appuyer sur le cheval et lui mouiller les lèvres de cognac.

Enfin, on arriva à la maison et le malade fut déposé sur le canapé de la salle, où il s’évanouit pour la troisième fois.

La blessure du jeune homme saignait si abondamment que le foulard de Roxane était complètement imbibé de sang. Belzimir, qui connaissait les propriétés médicales de certaines herbes, eut bientôt préparé des compresses, qu’il appliqua sur la tête du blessé, et bientôt, le sang se coagula autour de la plaie.

Roxane était seule auprès du malade, quand il revint de son évanouissement. Ses yeux s’arrêtèrent sur la jeune fille, puis ils firent le tour de la salle.

— Vous êtes aux Barrières-de-Péage, lui dit Roxane.

— Aux Barrières-de-Péage ! répéta le jeune homme. À quinze milles, conséquemment, de ma destination !… Ô ciel !

Il essaya de se lever, mais il retomba aussitôt sur le canapé.

— Je vous en prie, Monsieur, dit Roxane, n’essayez pas de vous lever. Vous ne le pourriez pas, d’ailleurs !

— Mademoiselle, balbutia le blessé, veuillez m’aider à me lever !… Il faut que je sois à destination, cette nuit même, il le faut.

Encore une fois, il essaya de se lever, avec le même résultat ; tombant dans un long évanouissement.

— Monsieur, lui dit Roxane, vous vous êtes fait à la tête une blessure large et profonde et vous ne pourriez pas vous lever ; n’essayez plus, je vous prie !

— Mais, il le faut ! répéta le blessé. Écoutez, Mademoiselle, je me rends aux Peupliers, chez mon père… qui se meurt.

— Vous ne pourriez pas vous lever de ce canapé, vous dis-je ! — répéta Roxane, pour la troisième fois. Chaque fois que vous faites un mouvement, vous retombez épuisé.

— Mon père… murmura le blessé. Il se meurt, et les Peupliers sont encore à quinze milles de la barrière de péage… sur le bord du lac des Cris… Nous nous sommes