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rent qu’ils iraient demeurer aux Barrières-de-Péage, qui leur avait toujours semblé être un château, un véritable palais, leur joie fut si grande qu’ils pleuraient tous deux.

— Aller demeurer aux Barrières-de-Péage ! ne cessait de répéter le père Noé. Quel contraste d’avec cette misérable cahute, dans laquelle le froid pénètre de toutes parts !

— Vous pourrez vous installer quand vous le désirerez, répondit Roxane. La maison est meublée, comme vous le savez ; je n’en ai enlevé que mon piano.

— Merci ! Oh ! merci s’écria Mlle Catherine. Dès demain, nous déménagerons mon moulin à coudre et quelques autres objets indispensables.

— Oui, dès demain ! répéta le père Noé. Les deux chevaux nous transporteront tout cela… Demain soir, nous coucherons aux Barrières-de-Péage ! C’est comme un rêve, oui, un rêve !… Et que Dieu vous bénisse, Monsieur et Madame de Vilnoble, pour votre générosité, votre incomparable bonté !

À quelques semaines de là, Roxane et son mari partaient pour Lloydminster et, à leur retour aux Peupliers, ils étaient accompagnés d’une enfant de sept ans, qu’ils présentèrent à Rita ainsi :

— Voici une petite compagne, une petite sœur pour toi, Rita ; elle se nomme Léa de Vilnoble.

Or, on le devine, cette petite, c’était la fille de Champvert. Roxane, dormant ou éveillée, avait souvent rêvé à l’enfant, dont elle avait vu le portrait, parmi les papiers du mari d’Yseult. « Léa, à l’âge de trois ans »… Pauvre petite innocente !…

Les de Vilnoble avaient pris des renseignements, et voici ce qu’ils avaient découvert : Léa, orpheline de mère, avait été abandonnée par son père, leur avait-on dit, une sorte de chenapan, de voyou, qui avait fait mourir de peine sa femme, qui était une sainte.

Les de Vilnoble avaient adopté Léa ; elle serait la compagne de Rita. Ni Hugues, ni Roxane n’étaient d’opinion que les enfants sont responsables des crimes de leurs parents. Et, disons tout de suite que jamais ils ne regrettèrent leur bonne action, car Léa était une douce et gentille fillette, toute dévouée à Rita et très soumise à ses parents adoptifs.

On le voit, le bonheur ne rendait pas Roxane égoïste, et c’est pourquoi sans doute, son bonheur durerait toute sa vie.

Et le temps passait…

Un jour, Hugues et Roxane, Armand et Lucie constatèrent qu’ils étaient mariés depuis cinq ans déjà. Sur ces deux foyers, l’ange du contentement et de la paix veillait sans se lasser. Pourtant, Roxane enviait souvent le bonheur de Lucie, parce que celle-ci était mère. Son fils, qui se nommait St-Éloi de Châteauvert, était le plus bel enfant qu’on pût rêver et, à quatre ans, il avait l’intelligence aussi développée qu’un enfant de dix ans… affirmait Lucie.

Chaque année, les Châteauvert et leur petit St-Éloi allaient passer deux mois au Valgai. Or, au Valgai, il n’y avait pas grand changement, excepté que, à côté de la maison du Docteur Philibert se dressait maintenant à la place de la rudimentaire construction en planches de jadis, un splendide hôpital. Construit en pierre de taille, l’hôpital pouvait loger cinquante malades. Et quel bonheur pour le médecin et sa femme, quand on put lire, au-dessus du grand portique d’entrée, en grosses lettres, très en relief, ces mots : « Hôpital Philibert ». L’hôpital prospérait, car, chaque année, Hugues de Vilnoble et Lucie de Châteauvert faisaient parvenir au « bon Docteur » une ronde somme pour l’entretien de cette institution.

Au château de St-Éloi, cette année, comme les années précédentes, on se préparait à partir pour le Valgai.

— Armand, dit soudain Lucie, qui était à préparer une de ses valises, je plains Roxane ; je la plains de tout mon cœur !

— Hein ! cria Armand. Ma chère Lucie ! Roxane est une des femmes les plus heureuses de la terre. Hugues…

— Oui ! Oui ! C’est entendu ; Hugues adore sa femme, qui le lui rend au centuple, et le reste, et le reste… Mais Roxane n’a pas d’enfants, tu sais, Armand, et… ah ! que je la plains !

— Pourtant, ma chérie… commença Armand.

— Eh ! bien ? fit vivement la jeune femme. Tu n’as pas l’intention de suggérer, n’est-ce pas, Armand, que Roxane et Hugues peuvent être réellement heureux, sans famille ?… Nous, nous nous aimons tout autant qu’ils s’aiment eux ; mais, je serais malheureuse, oui, tout à fait malheureuse sans notre petit St-Éloi ! Que serait notre foyer, sans cet ange ?

— Cependant, ma Lucie, osa répondre Armand, si le ciel ne nous eut pas donné d’enfant, nous…

— Nous aurions été infiniment à plaindre ; voilà ! C’est inutile de me contredire, mon cher mari ; tu aimes notre fils autant que je l’aime, moi, et tu sais bien toi-même que triste serait notre foyer sans lui !

Allez donc essayer de faire entendre raison à une femme aussi convaincue ! Armand y renonça tout simplement.

Le soir de leur arrivée au Valgai, Mme Philibert proposa à ses enfants qu’on allât tous ensemble veiller aux Peupliers ; on surprendrait Hugues et Roxane au gîte. Ils reçurent un affectueux accueil, vous le pensez bien ! Lucie trouva Roxane plus belle que jamais, et dans les yeux de la femme de Hugues se voyait une expression difficile à définir.

À un moment donné, Mme de Vilnoble quitta la bibliothèque, où l’on passait la veillée, et bientôt, elle revint, portant dans ses bras un enfant de trois semaines.

— Oh ! cria Lucie. Un enfant ! Roxane ! Il est à toi, à toi !

— Oui, Lucie. C’est une petite fille, dont tu seras la marraine, je l’espère, et Armand le parrain ?

— Quel bonheur ! s’exclama Lucie. Inutile de te dire que nous acceptons de grand cœur. N’est-ce pas, Armand ?  ?

— Certes oui ! dit Armand. Vous nous faites, à Lucie et à moi, un honneur que nous