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Roxane, qui dormait encore sous l’effet du chloroforme qui lui avait été administré, et il la déposa par terre, sans trop de cérémonie, ensuite, il reprit le chemin et, arrivant à un ranch, y acheta des provisions et un petit bidon, pour y faire bouillir de l’eau, après quoi il retourna dans le bois.

Roxane venait de s’éveiller… Elle jeta un regard autour d’elle. Elle aperçut le notaire, mais tout de suite, elle ferma les yeux et s’endormit de nouveau.

Ce n’est que dans le courant de l’après-midi qu’elle s’éveilla tout à fait. Champvert, non loin, fumait un cigare. Il sourit méchamment et dit :

— Enfin, vous vous êtes décidée de vous éveiller, Mlle Monthy ! Ce n’est pas trop tôt ! Que pensez-vous de ce petit bois ? Pourrait-on rêver rien de plus…

— Où suis-je ? demanda la jeune fille.

— Ah ! répondit Champvert en riant. Vous aimeriez beaucoup à le savoir, n’est-ce pas ? Je regrette de ne pouvoir vous renseigner, chère Mlle Monthy. Seulement, je veux bien vous dire ceci : vous êtes loin des Peupliers et plus loin encore des Barrières-de-Péage… Vous souvenez-vous du jour où Hugues de Vilnoble m’avait obligé de descendre de cheval pour vous faire mes excuses ?… J’avais raison de lui dire, ce jour-là : « Rira bien qui rira le dernier ». Votre cher fiancé n’aura peut-être plus envie de rire, quand il apprendra que sa Roxane a disparu. Hé hé hé !

— Où me conduisez-vous ?

— Où ?… Cela aussi, vous aimeriez beaucoup à le savoir, hein ?… Qu’il me suffise de vous dire que vous ne sortirez jamais vivante de là où je vous conduis… Pauvre Hugues ! Je serais presque porté à le plaindre, dit le sinistre voyou. Et cette petite infirme donc, votre Rita chérie…

— Taisez-vous, lâche !

— Si vraiment vous préférez le silence, je me tairai ; soyons galant envers les dames !… Maintenant, comme vous devez avoir faim, je vais vous détacher les mains, pour vous permettre de manger. Seulement, je vous en avertis, Mlle Monthy, je suis armé, et au moindre mouvement que vous ferez pour défaire le reste de vos liens, je vous tue, sans pitié !

Roxane pensa au revolver qu’elle avait, en ce moment, dans la poche de sa robe ; mais, qu’aurait-elle pu contre Champvert ?… Il venait de le dire, il la tuerait sans pitié.

Ses liens détachés, la jeune fille mangea, car elle avait réellement faim, n’ayant rien pris, depuis le souper, la veille. Elle n’allait pas se laisser mourir d’inanition ; elle lutterait jusqu’au bout, sans se laisser abattre ; à cela elle était fermement résolue.

Aussitôt qu’il fit nuit, les chevaux furent attelés à la berline, et on partit, allant grand train, jusqu’au lever du soleil. Puis, ce fut à recommencer ; comme la veille, la journée entière se passa en plein bois et on repartit, à la nuit.

C’était le quatrième jour du voyage assez étrange de Roxane, en compagnie de Champvert. Au moment où de soleil déclinait à l’horizon, l’ex-Décart s’approcha de sa compagne et lui dit :

— Je vais être obligé de vous chloroformer, Mlle Monthy.

— Non ! Non ! s’écria la jeune fille. De grâce, M. Champvert, ne m’administrez pas de chloroforme ! Je ferai tout ce que vous me commanderez de faire… Le chloroforme me rend si malade !

Sans répondre, Champvert versa sur un mouchoir une généreuse quantité de chloroforme, qu’il appliqua sur le visage de sa victime. Roxane eut beau essayer de se défendre, elle était totalement impuissante, surtout, garrottée comme elle l’était.

Une fois la jeune fille endormie, le notaire s’assit à une petite distance et il se mit à fumer. Que complotait-il ?… Qu’allait-il faire ?… Une chose étrange assurément. Il conduisit l’un des chevaux près de celle qui dormait, et enveloppant Roxane dans une couverture de voyage, il la saisit par la taille et la jeta sur le dos de la bête. Ensuite, il monta à cheval lui-même, après avoir attaché à un arbre une forte ficelle, dont il retira deux pelotons complets de la poche de son habit. Puis, lentement, et déroulant la ficelle, il s’enfonça dans le plus profond du bois.

Bientôt, le paysage changea d’aspect : les arbres se firent plus rares et le sol devint parsemé de hautes broussailles et de fin foin. Le vent s’étant élevé, ces herbes ondulaient follement ; on eût dit les vagues d’une mer démontée.

Quand Champvert eut déroulé toute la ficelle des deux pelotons, il arrêta son cheval, et sautant sur le sol, en attacha l’extrémité à un arbuste. Ayant déposé Roxane sur de hautes herbes, il plaça auprès d’elle sa valise et le petit bidon, contenant quelques provisions, telles que tartines au beurre, œufs bouillis, etc… Ceci fait, il défit les liens de la jeune fille, détacha la ficelle qu’il avait attaché, sauta sur sa monture et, tout en roulant sur le peloton la ficelle, retourna au campement, où il avait laissé l’autre cheval. Son excursion avait duré deux longues heures.

Le notaire passa le reste de la nuit à son campement, et aussitôt qu’il fit jour, il attela ses chevaux à la berline de voyage et s’en alla, bon train, dans la direction de l’est des Peupliers… sans se douter, certes, que là l’attendait une surprise… grande et… désagréable, pour dire le moins.


CHAPITRE XX

LA VENGEANCE DE ROLLO


Champvert, en arrivant aux Peupliers, donna au cocher l’ordre de dételer les chevaux, puis il s’enferma dans son étude, dont la porte avait été fermée à clef durant son absence. Il était cinq heures du soir.

Dans l’étude régnait un désordre pas du tout artistique. Il était facile de voir qu’une scène insolite s’était passée là : le coffre-fort ouvert, le tapis de table et les papiers éparpillés sur le plancher disaient bien haut le drame d’il y avait sept jours. Non loin de la table à écrire, le notaire vit, par terre, la perruque grise et les lunettes fumées qui avaient