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— Vous allez écrire immédiatement, ce qui suit :

« Je suis retournée aux Barrières-de-Péage.

ROXANE. »

— Jamais ! s’écria notre héroïne. Jamais je n’écrirai cela, entendez-vous, M. Champvert !

— Jamais est un grand mot, dit en riant le notaire. Écrivez Mlle Monthy, écrivez !

— Je jure que rien au monde ne me fera écrire cela !

— Il ne faut jurer de rien, vous savez… Allons, écrivez ! Le temps s’écoule rapidement, et j’ai autre chose à faire qu’à causer avec vous. Vite ! Hâtez-vous ! Écrivez ! Entendez-vous, Mlle Monthy !

Roxane ne fit aucun mouvement pour obéir à Champvert. Elle en avait le pressentiment, cet homme, qui l’avait en son pouvoir, méditait contre elle quelque terrible vengeance.

— Vous refusez de m’obéir, n’est-ce pas, Mlle Monthy ? Eh ! bien, je sais un moyen de vous y contraindre. Si vous n’écrivez pas ce que je viens de vous dicter, il arrivera malheur à… une certaine petite infirme qui vous tient beaucoup au cœur…

— Rita !… balbutia Roxane.

— Oui. Rita ! Rien ne me sera plus facile que d’attirer cette petite dans un guet-apens et de…

— Oh ! M. Champvert ! Pour l’amour de Dieu, ne touchez pas à ma petite sœur chérie !… Elle est faible et infirme, la pauvre mignonne et si chétive !… N’avez-vous jamais connu ce que c’est que d’aimer une innocente petite créature, que vous ayez conçu la diabolique idée de vous attaquer à cette enfant ?… De grâce, M. Champvert ! sanglota Roxane.

— Plaider, avec moi, c’est comme plaider auprès de cette chaise, Mlle Monthy, répondit le notaire, qui, cependant, avait légèrement pâli. Écrivez, entendez-vous ! Sinon, aussitôt que j’aurai décidé de votre sort, je m’occuperai de…

— Et si j’écris ce que vous m’avez dicté !…

— Il n’arrivera rien à votre petite sœur je vous en donne ma parole d’honneur !

— Vous m’en donnez… quoi ? dit la jeune fille, avec un éclat de rire. Votre parole d’honneur ! La vôtre ! La parole d’honneur du notaire Champvert ! Ha, ha ha !

— C’est bien, riez, Mademoiselle ! Rira bien qui rira le dernier cependant. Pour la dernière fois, je vous donne le choix entre écrire cette lettre ou sacrifier la vie de votre petite sœur.

Roxane n’hésita plus ; elle écrivit la lettre, se doutant bien pourtant que ce papier serait peut-être sa condamnation.

— Maintenant, suivez-moi ! dit Champvert.

— Mais… je ne puis pas marcher ; j’ai les pieds liés ensemble !

— C’est juste !

Il défit les galons et ficelles qui liaient les pieds de la jeune fille, mais il lui attacha les mains derrière le dos, puis prenant le papier qu’elle venait d’écrire, il conduisit Roxane droit à sa chambre, à la chambre qu’avait occupée Mme Louvier.

Arrivé dans la chambre, le notaire attacha de nouveau les pieds de Roxane ; de fait, il la ficela comme un paquet, puis il quitta la pièce, revenant, au bout de quelques instants, tenant à la main une fiole contenant une substance liquide ressemblant à de l’eau : c’était du chloroforme. En un clin d’œil, il en imbiba un mouchoir, qu’il appliqua sur le visage de la jeune fille. En vain essaya-t-elle de se défendre ; elle était impuissante, étant liée pieds et mains.

Mais, pauvre Roxane, elle ne se débattit pas longtemps ; bientôt, elle tomba sur une chaise, endormie.

Alors, hâtivement, Champvert se mit à entasser dans la valise de la fiancée de Hugues tout le linge de celle-ci, après quoi il plaça, très en évidence, la lettre qu’elle avait écrite sous sa dictée. Quittant la chambre ensuite en emportant la valise, il se dirigea vers les écuries et attela les deux chevaux de trait à la berline de voyage, sans même s’apercevoir que Jupiter n’était pas dans sa stalle.

Bientôt, Roxane était couchée sur un des sièges de la berline, dont les rideaux avaient été soigneusement fermés, puis, faisant lui-même le métier de cocher, Champvert administra aux chevaux deux maîtres coups de fouet. À ce traitement, auquel elles n’avaient pas été habituées, les deux nobles bêtes partirent, le mors aux dents, dans la direction de l’ouest.


CHAPITRE XVIII

QU’EST-ELLE DEVENUE ?


Hugues et Armand, sur l’Île Rita, étaient comparativement heureux.

N’eut été la pensée de leurs fiancées et de leurs amis, dont ils étaient si éloignés, ils auraient pu se croire les plus heureux de la terre ces deux cousins, qui sympathisaient si bien ensemble.

Le terrain très fertile de l’île se prêtait à toutes les améliorations ; le foin, l’avoine, le blé, le sarrasin, poussaient à merveille. En arrière de la Maison-Blanche était un immense jardin potager, tandis qu’on parvenait à la maison à travers les fleurs de toutes sortes et de toutes nuances ; de plus, l’avenue des pommiers promettait merveilles, pour l’automne.

Au sommet du Mont Roxane, on avait installé, non loin du drapeau, un banc, et souvent, les deux jeunes gens passaient là la veillée, fumant, et causant de leurs bien-aimées.

Le Port Lucie était un véritable port maintenant. Un quai avait été construit, ainsi qu’une cabane à chaloupes et une maison de bain.

Quant au Parc Philibert, ses allées bien entretenues, ses arbres bien entaillés et ses plates-bandes fleuries disaient assez le travail qui avait été fait, en cet endroit aussi.

L’Île Rita serait un endroit idéal, un vrai lieu de délices pour y passer la belle saison, et la Maison-Blanche, si on y ajoutait un étage ressemblerait vraiment à un manoir de l’ancien temps.