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répondit le médecin, d’une voix tremblante.

On prétendait que le Docteur Philibert n’était pas du tout endurci par la pratique de sa profession, et que plus d’un l’avait vu pleurer pendant que ses malades agonisaient

Yseult, à la réponse et à l’émotion du médecin, comprit qu’elle était dangereusement malade. Ses yeux furent remplis de terreur, et de nouveau, elle se tordit les mains ; mais bientôt elle tomba dans le coma, et il semblait bien à ceux qui l’entouraient, qu’elle ne reprendrait plus connaissance.

Quand le prêtre arriva, vers les dix heures du soir, Yseult était toujours dans le même état. Le Père Ledoux ne voulut pas quitter la chambre de la malade un seul instant ; il voulait être là, si la jeune femme reprenait connaissance, quand ce ne serait que pour quelques minutes. Quelques minutes en pleine connaissance, pour celui ou celle qui va mourir, c’est précieux ; de ces quelques minutes dépend, souvent, l’éternité…

Mais, toute la nuit et toute la journée du lendemain, jusqu’à l’heure du crépuscule, Yseult fut inconsciente.

Au moment où le soleil déclinait à l’horizon, cependant, elle ouvrit les yeux et reconnut le prêtre.

— Le prêtre ! murmura-t-elle.

— Vous m’avez fait demander et je suis venu, dit le Père Ledoux. Désirez-vous vous confesser, mon enfant ?

— Oui, mon Père.

On laissa le prêtre seul avec la mourante, puis le Père Ledoux lui administra les derniers sacrements, en la présence de tous. Le Docteur Philibert, qui tenait entre ses doigts le poignet d’Yseult, se pencha soudain sur Roxane et lui dit quelques mots tout bas. La jeune fille s’approcha alors de Mme Philibert et murmura doucement :

— Madame, Mme  Champvert s’affaiblit, à chaque instant… Elle vient de s’évanouir… et le Docteur Philibert craint… craint…

— C’est la fin, pensez-vous, Mme Louvier ? s’écria la mère d’Yseult. Tout à coup, le prêtre demanda ;

— Cette pauvre enfant qui se meurt, est-elle veuve ?

— Veuve ! cria le Docteur Philibert. Non, mon Père, elle ne l’est pas.

— Alors, où est son mari ? Pourquoi n’assiste-t-il pas aux derniers moments de sa femme ?

— M. Champvert est enfermé dans son étude, mon Père, répondit Roxane. Il a peur des fièvres, et…

— Je vais le chercher ! dit le médecin.

Quand il eut frappé à la porte de l’étude, il attendit que Champvert vînt lui ouvrir.

— Qu’y a-t-il ? demanda le notaire.

— Il y a que Mme Champvert se meurt, dit brusquement le Docteur Philibert ; elle n’a plus que pour une heure à vivre, tout au plus une heure.

— Eh ! bien ? fit le mari d’Yseult.

— Eh ! bien ?… Je suis venu vous chercher. Venez !

— Pas moi ! répondit Champvert. M’exposer à prendre les fièvres typhoïdes, jamais ! Et puis, vous êtes assez de monde autour d’elle, ce me semble. Je n’irai pas !

Le médecin saisit Champvert au collet et le secoua, comme on ferait d’un chien, puis le poussa dans la direction de la chambre de la moribonde. Le notaire voulut résister, mais le docteur eut le dessus. Ce fut de force, à le traîner, à le pousser et à le bousculer qu’il parvint à le conduire au chevet de sa femme agonisante.

Il pouvait être huit heures, quand Yseult ouvrit, encore une fois, les yeux. Elle sourit à sa mère, qui était agenouillée près du lit, elle sourit au prêtre, au Docteur Philibert et à Roxane. À son mari, elle tendit la main et ses yeux se remplirent de larmes.

— Ignace, balbutia-t-elle, pardon !

Encore une fois, elle ferma les yeux, et le Père Ledoux se mit à lire la prière des mourants.

Soudain, la moribonde s’assit droite sur son lit, et d’une voix forte, elle dit :

— Le testament !… Hugues !… Pardon !

Puis elle retomba sur ses oreillers… Un sanglot s’échappa des lèvres de Mme Philibert et de Roxane… Le prêtre entonna le de profondis : Yseult était morte !


CHAPITRE XVI

LE MOT QUI OUVRE LE COFFRE-FORT


Les funérailles d’Yseult avaient eu lieu.

Mme Philibert était retournée au Valgai, avec son mari ; mais Roxane était encore aux Peupliers. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, et quoiqu’elle eut fait d’infructueux essais pour ouvrir le coffre-fort où était enfermé le testament de M. de Vilnoble, la jeune fille se proposait de faire un dernier effort, aussitôt que l’occasion se présenterait.

À son retour du cimetière, Champvert avait fait venir Roxane dans son étude et lui avait dit :

Mme  Louvier, j’espère que vous ne quitterez pas les Peupliers, d’ici quelques jours, au moins. Je me propose de fermer la maison, pour un certain temps ; en attendant, si vous vouliez continuer à diriger le personnel…

— C’est bien, je resterai encore pour quelques jours, promit Roxane.

Il y avait une semaine de cela, et pendant toute cette semaine, pas une seule occasion ne s’était présentée, dont elle eut pu profiter pour s’approcher du coffre-fort.

Il était huit heures du soir. Champvert était sorti. Les domestiques étaient occupés, dans une autre partie de la maison, excepté Souple-Échine, à qui Roxane avait dit, ce matin-là :

— Tiens-toi près ; j’aurai peut-être besoin de ton aide, ce soir.

La jeune fille se dirigeait vers l’étude de Champvert, suivie du petit Sauvage. Dans la poche de sa robe elle avait mis une boîte d’allumettes et aussi son revolver. De plus, elle tenait à la main une bougie allumée : la fiancée de Hugues de Vilnoble allait faire un dernier effort pour s’emparer du testament.

Arrivée dans l’étude, elle dit à Souple-Échine :