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viendra vôtre, le jour de votre mariage, dit Champvert. Il est vrai que, entre $10,000 et un demi-million la différence est grande, et quand on s’est crue héritière d’une telle somme… Mais il y a moyen de tout arranger, Yseult, et si nous nous entendons…

— Tout arranger ! Que voulez-vous dire ?

— Ce testament peut… disparaître, répondit le notaire, et ainsi, celui qui a été fait en votre faveur sera le seul valable… Comprenez-vous, Yseult ?… Lundi, on ne trouvera nulle part ce dernier document, alors…

— Vous feriez cela ! s’écria Yseult. Mais, ce serait vous exposer à tomber sous le coup de la loi, si jamais vous étiez découvert !

— Sans doute, si j’étais découvert… Je ne le serai pas cependant, et vous hériterez de la fortune entière de votre oncle.

— Ô ciel ! s’exclama la jeune fille.

— Mais, reprit Champvert, vous le pensez bien, je ne suis pas prêt à courir tant de risques sans en réclamer une récompense ; il vous faudra me donner, par écrit — par écrit, entendez-vous ? — la promesse que vous m’épouserez, d’ici trois mois.

— Et si je vous donne cette promesse, vous détruirez ce testament ? demanda Yseult, qui avait l’air d’une morte, tant son visage était défait. Vous le détruirez à l’instant, en ma présence ?

— Yseult, répondit le notaire, avec un sourire amusé, me prenez-vous pour un naïf ou un imbécile ? Détruire ce testament tout de suite ! Oh ! que nenni ! Je le garderai, ma chère ; ce sera ma garantie que vous tiendrez votre promesse de m’épouser. Mais, un mois, jour pour jour, après notre mariage, je vous remettrai ce testament et vous le détruirez vous-même.

— Vous épouser dans trois mois ! murmura Yseult. Sera-ce convenable de faire des noces si tôt après le décès de mon oncle, surtout si j’hérite de lui ? Six mois…

— J’ai dit trois mois, Yseult ! riposta froidement le notaire. C’est à prendre ou à laisser ! Votre sort est entre mes mains, ne l’oubliez pas. Si vous me donnez votre promesse, bien ! Sinon, ce testament sera remis… où je l’ai pris, ou du moins, je m’arrangerai pour qu’il soit trouvé par le vieil Adrien, lundi, et alors… vous connaissez le résultat.

— Perdre la fortune de mon oncle de Vilnoble ! Non ! Non ! cria Yseult.

— Il ne tient qu’à vous d’hériter de votre oncle, insinua le notaire. Que décidez-vous ?

— J’accepte ! Je serai votre femme, d’ici trois mois, je…

— Merci ! dit Champvert. Il ne vous reste plus qu’à signer ce papier, que j’étais à préparer, quand vous êtes entrée ici, tout à l’heure, pour le cas où vous consentiriez à m’épouser. Veuillez signer ici… et ne craignez rien.

Haussant les épaules dédaigneusement, Yseult signa le papier.

— Est-ce tout ? demanda-t-elle ensuite, avec une expression d’implacable haine sur son visage.

— Oui, c’est tout, et encore merci ! Ne vous préoccupez de rien, dit Champvert ; les choses se passeront telles que je vous l’ai promis.

— Vous ne m’avez pas dit comment vous vous étiez emparé de ce dernier testament de mon oncle, M. Champvert.

— Non. À quoi sert ?… Je désire vous épargner certains détails qui, en fin de compte, ne sauraient vous intéresser.

Malgré lui, le notaire jeta les yeux sur son poignet droit, qui portait encore la marque des doigts du moribond.

— Comme vous voudrez ! répondit la jeune fille avec un geste indifférent. Maintenant, je retourne trouver ma mère ; elle va se dire que suis bien longtemps à me choisir un livre.

— Au revoir alors, Yseult ! dit Champvert, en tendant à sa fiancée une main qu’elle fit semblant de ne pas apercevoir.

— Au revoir, M. Champvert ! répondit froidement Yseult.

Le notaire fronça les sourcils, mais il ne dit mot.

Yseult quitta la bibliothèque et elle se dirigea vers le boudoir qu’elle partageait avec sa mère ; Mme Dussol commençait à s’inquiéter, en effet, de l’absence prolongée de sa fille.


CHAPITRE X

LA FORÊT DES ABÎMES


Roxane, en s’éveillant, le matin de la mort de M. de Vilnoble, résolut de se lever et de retourner chez elle, sans retard, malgré l’heure matinale. En cette saison, le jour commence tôt, et la jeune fille comptait qu’en quittant les Peupliers dans une heure à peu près, elle arriverait aux Barrières-de-Péage un peu après six heures, heure à laquelle Belzimir se levait d’ordinaire.

— Pauvre Belzimir ! se dit Roxane. Je ne sais comment il a passé la nuit. Je me demande si M. Hugues a pu dormir, et si Rita s’est aperçue de mon absence… M. Hugues avait l’air d’être aux prises avec une forte fièvre quand je l’ai quitté, hier soir… Décidément, je vais partir immédiatement ; il me tarde beaucoup de voir ce qui se passe chez-nous !

S’étant habillée à la hâte, elle écrivit, à l’adresse d’Adrien, le billet suivant :


« Adrien,

« Il n’est que trois heures du matin, mais je vais quitter les Peupliers, sans retard. Je sais que M. de Vilnoble est mort, mais je préfère n’être vue de personne, et peut-être feriez-vous aussi bien de ne pas mentionner mon arrivée ici, la nuit dernière.

Quand le médecin viendra — le Docteur Philibert ; je le connais bien —, dites-lui de venir aux Barrières-de-Péage le plus tôt possible, cet avant-midi, s’il le peut. M. Hugues, voyez-vous, Adrien, nous le soignons de notre mieux, mon domestique et moi ; mais nous aurions grandement besoin de l’avis du médecin. »

Roxane MONTHY.