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L’OMBRE DU BEFFROI

— Qu’elle est brillante, ce soir, notre Étoile du Nord ! s’écria Jeannine.

— Vous l’avez dit ! répondit Olga.

— Marcelle, ma chérie, dit Henri Fauvet, entourant de son bras la taille de sa fille, Dolorès se disposait à aller te réveiller ; mais te voilà enfin !

— Chère, chère Marcelle ! s’exclama Dolorès, en donnant un baiser à la jeune fille. Sais-tu, je commençais à être réellement inquiète de toi ! Tu dormais si profondément, tout à l’heure, d’un sommeil qui paraissait à peine naturel, que je…

— Est-ce qu’on n’a pas un baiser pour son père ? demanda, en souriant, Henri Fauvet.

— Père ! Petit père ! fit-elle, entourant de ses bras le cou de Henri Fauvet.

— Ma fille ! Mon adorée ! murmura Henri Fauvet. Mais, mon enfant… assurément, ce ne sont pas des larmes que je vois dans tes yeux ?… Qu’y a-t-il, ma toute chérie ?

— Rien, rien, père… Je suis un peu fatiguée ; voilà tout.

— Marcelle, dit Gaétan, en s’approchant du groupe un peu isolé que formait Henri Fauvet et sa fille, ce sera bientôt les tableaux vivants ; venez, je vous prie.

Elle prit le bras de Gaétan, et il la conduisit dans les « coulisses », qui avaient été aménagées, en arrière de l’estrade, que V. P. avait érigée, pour l’occasion.

Quiconque eut pris la peine de jeter les yeux sur Iris Claudier, eut été effrayé, presque, de l’expression de déception, de colère et de haine qui recouvrait ses traits… Cette entrée triomphale de Marcelle… C’était à n’y rien comprendre… Mais, il y avait une heure à peine, elle avait été sous l’influence de la morphine, à un tel point, qu’elle avait résisté aux traitements les plus brusques… Et, au moment où tout allait se déclarer, où le terrible scandale allait éclater, où son rêve, à elle Iris, allait se réaliser, où Marcelle Fauvet serait méprisée de ses meilleurs amis, elle arrivait, belle à ravir, charmant les regards, adorée de Gaétan de Bienencour, de son père, de Raymond Le Briel, aimée de tous !

— Je croyais que j’allais triompher enfin, se disait Iris Claudier, et c’est elle, Marcelle Fauvet qui triomphe !… C’est à n’y rien comprendre ; c’est même fort mystérieux… Mais, le Beffroi n’est-il pas le domaine du mystère ?… Ciel ! Ne parviendrai-je jamais à me venger de Mlle  Fauvet, qui m’a enlevé le cœur de Gaétan ?… Que je la hais, Seigneur ! Que je la liais !

Iris dut quitter précipitamment le salon, afin de cacher à tous les larmes de rage dont ses yeux de chat étaient remplis. Elle alla se promener un peu sur la terrasse, espérant ainsi rafraîchir son cerveau en feu.

Quand elle revint au salon, elle constata une chose qui le mettait toujours en colère : encore, cette fois, personne ne s’était aperçut de son absence.


CHAPITRE IX

LE MIROIR DES ANGES


L’auditoire, qui assistait aux tableaux vivants, n’était pas nombreux. À part les invités, il y avait les domestiques : Mme  Emmanuel, Rose, V. P., Cyp, et aussi Nap, le fils de Mme  Emmanuel (on se souvient de lui), arrivé au Beffroi dans le courant de l’après-midi, accompagné de sa femme et de leurs deux enfants.

Après chaque tableau, donc, ceux qui venaient de figurer, allaient se placer parmi « le public », de manière à créer un auditoire. Prenaient part aux tableaux : Marcelle, Gaétan, Dolorès, Gaston, Yolande et Raymond.

Ce n’est pas notre intention de parler longuement des tableaux vivants, qui furent représentés, ce soir-là, au Beffroi. On avait choisi, pour commencer, des événements de la vie de Napoléon 1er ; son mariage avec Joséphine (Dolorès faisait une sympathique Joséphine) son divorce, son mariage avec Marie-Louise, etc., etc., cette dernière représentée par Yolande. Gaston, malgré ses yeux bleus et sa chevelure blonde, qu’on avait cachée sous une perruque brune, était parvenu à se donner un air tout à fait « Napoléonique », pour parler comme Mme  de Bienencour. Pour le divorce, Gaétan et les autres jeunes gens étaient vêtus en cardinaux. Bref, ce fut assez bien réussi, et tous furent applaudis, dans cette première partie du programme.

La deuxième partie, devait être des scènes de l’opéra « Faust ». Marcelle faisait une charmante Marguerite, avec ses magnifiques cheveux blonds ramenés sur sa poitrine en deux longues nattes, ses yeux violets baisés modestement, excepté quand elle devait les lever sur Faust, représenté par Raymond Le Briel. Gaétan n’avait pas voulu accepter ce rôle, prétendant qu’il ne s’y entendait guère ; on l’avait donc offert à Raymond qui, pour être près de celle qu’il adorait, n’avait eu garde de refuser. Gaston Archer remplissait le rôle de Mephisto, à son grand amusement et à celui de tous. Gaétan, cependant, avait accepté un rôle, dans ce tableau ; celui du frère de Marguerite, qui, au dernier acte, revient de loin, venger la mort de sa mère et le déshonneur de sa sœur.

En attendant qu’on commençât les tableaux de Faust, Fred Cyr joua quelques morceaux sur le piano, puis Dolorès chanta.

— Marcelle, voulez-vous nous jouer quelque chose ? demanda soudain Gaétan.

— Je regrette infiniment de vous refuser, mais je ne suis pas du tout disposée à jouer ce soir, M. de Bienencour. Cependant…

— « M. de Bienencour » murmura Gaétan. Marcelle ! Qu’y a-t-il ? Pourquoi ne m’appelez-vous pas Gaétan ?… Ô ma bien-aimée, si je vous ai offensée, de quelque manière que ce soit, ne me le pardonnerez-vous pas ?

— Vous ne m’avez pas offensée, Gaétan, croyez-le ! Mais, je vous en prie, n’insistez pas pour me faire jouer ce soir !

— C’est bien, ma toute chérie, je n’insisterai pas… Une autre fois…

— Peut-être Mlle  Fauvet nous chanterait-elle quelque chose ? demanda, à ce moment, Raymond Le Briel, qui venait de s’approcher, avec Mme  de Bienencour et Olga.

— Oh ! oui, Marcelle ! Chantez donc !… fit Olga. Savez-vous, ajouta-t-elle, je n’ai jamais entendu chanter Marcelle, jamais !

— Plusieurs d’entre nous sommes dans le même cas que vous, je crois, Mlle  Carrol, dit Raymond en souriant. Ne nous chanterez-vous pas quelque chose, Mlle  Fauvet ?