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L’OMBRE DU BEFFROI

— Édith ! Ma toute chérie !… Je t’ai tant cherchée… et je te retrouve ici !… Tu m’es rendue, et Dieu en soit béni ! Jeune homme, dit le Docteur Carrol, en s’adressant à l’étranger, allez, je vous prie, dire à mes amis de venir ici immédiatement ! Cette dame, que vous avez si vaillamment défendue, est ma femme, disparue, depuis bientôt six ans… Allez, n’est-ce pas ? Mais, s’il vous plait revenez, car j’ai affaire à vous.

Au bout de quelques instants, tous nos amis arrivaient dans la maison, suivis de l’étranger.

— Olga ! Wanda ! Votre mère !

— Mes filles ! cria Mme Carrol.

— Mère ! Ô mère !

Nous renonçons à décrire la scène qui suivit. La famille Carrol était réunie enfin, et le bonheur allait désormais régner à leur foyer…

Mme Carrol, lorsqu’elle avait quitté la maison de son mari, il y avait six ans, prise de folie subite, amenée par l’ennui qu’elle éprouvait de ses enfants, avait erré à l’aventure. Perdue dans la brume, le hazard voulut qu’elle parvint à C…, et là, on l’avait recueillie. Avec la pitié qu’on ressent pour qui a perdu la raison, les habitants de C… avaient adopté la pauvre folle et pris soin d’elle.

— Jeune homme, dit le Docteur Carrol, d’une voix tremblante, et s’adressant à l’étranger, je voudrais pouvoir vous exprimer la reconnaissance que j’éprouve à votre égard… Vous rendez-vous au Nord-Ouest ?

— Non, Docteur, répondit le jeune homme. Je suis venu dans le district du Nipissingue pour essayer d’y acheter une ferme… Je me nomme Frédéric Cyr. Mes parents sont morts et ils m’ont laissé quelques milliers de dollars, que j’aimerais à placer sur une bonne terre, si c’est possible.

— J’ai précisément votre affaire ! dit Raymond. Voisine de la mienne, est une belle et bonne terre, sur laquelle il y a une grande et confortable maison, toute meublée et des bâtiments en bon état…

— Vous voulez parler de l’Abri, n’est-ce pas ? demanda Henri Fauvet.

— Oui, M. Fauvet. L’Abri se vendrait à des conditions fort avantageuses, et si M. Cyr…

— Comment pourrais-je voir l’Abri, Monsieur ? demanda à Raymond, Frédéric Cyr.

— Rien de plus facile ! Revenez avec nous ! Je vous offre l’hospitalité chez moi, et demain, je vous ferai visiter cette propriété, dont je suis l’agent. Je vous certifie que vous serez satisfait, M. Cyr.

— Votre offre me tente, répondit, en souriant, Frédéric.

— Alors, venez ! fit Raymond.

— Oui, venez ! s’écrièrent-ils tous.

— Nous nous tasserons pour vous faire place dans notre voiture, dit Henri Fauvet. Venez !

— Merci, Monsieur, répondit Frédéric Cyr ; mais, je vous accompagnerai à cheval… Dolce ! appela t-il.

Il siffla, d’une manière particulière, et aussitôt, une superbe bête d’un gris pommelé, arriva en gambadant sur la route.

— La magnifique bête ! s’écria Wanda.

— Partons, sans retard, voulez-vous ? demanda le Docteur Carrol. Ma femme…

— Oui, partons !

Wanda avait pris place dans la voiture de son père et Dolorès était venue se placer à côté de Marcelle, dans la voiture de Raymond Le Briel. Wanda se tenait près de sa mère, à laquelle elle souriait, à travers ses larmes. Parfois, ses yeux rencontraient ceux de Frédéric Cyr, celui qui avait secouru Mme Carrol, et un sentiment de vive reconnaissance envers le jeune homme s’infiltrait dans son cœur. Quand à Frédéric, les yeux de Wanda lui semblaient les plus beaux du monde, et souvent, il se penchait sur sa selle, pour les regarder et les admirer.

Malgré l’invitation du Docteur Carrol, nos amis du Beffroi et de l’Eden ne voulurent pas rester à souper au Grandchesne, comprenant bien que cette famille, nouvellement réunie, avait besoin de repos et d’intimité.

Raymond et Frédéric soupèrent au Beffroi, puis ils partirent pour l’Eden.

Le lendemain matin, de bonne heure, les deux jeunes gens se rendaient à l’Abri, et vers les dix heures de l’avant-midi, arriva Henri Fauvet, accompagné de Rose et de Cyp.

— Eh ! bien, demanda-t-il, comment aimez-vous l’Abri, M. Cyr ?

— Je l’aime tellement, que j’en ai fait l’acquisition, M. Fauvet, répondit Frédéric. Les conditions sont si faciles, si avantageuses, d’ailleurs ! La maison est en bon ordre et je m’y installerai demain, si c’est possible.

— Je me suis fait accompagner par une de nos servantes, dit Henri Fauvet ; avec son aide, celui de la ménagère de l’Eden et de Cyp, le grand nettoyage de votre maison sera vite chose faite. Vous pouvez vous fier à Rose, M. Cyr ; tout sera luisant comme de l’or neuf, quand elle y aura mis la main.

— Que de bonté ! s’écria Frédéric.

Deux jours plus tard. Frédéric Cyr (que Henri Fauvet et Raymond Le Briel avaient résolu d’appeler : « Fred » dorénavant) s’installait définitivement à l’Abri.

Un brave et loyal cœur de plus s’ajoutait au groupe de nos amis du Nipissingue.


CHAPITRE VII

POURQUOI CE MYSTÈRE ?


Quelques jours après que Fred Cyr eut été installé à l’Abri, on eut pu voir sur la route, de l’Eden au Beffroi, un cavalier : c’était Raymond Le Briel. Il se rendait à une ferme, située à quatre milles du Grandchesne. L’intention du jeune homme était de ne s’arrêter ni chez les Fauvet, ni chez les Carrol, car il était pressé d’arriver à destination, afin de pouvoir être de retour chez lui avant l’orage, qui menaçait.

— Nous allons avoir de l’orage, se disait-il, en observant le firmament, qui s’estompait de nuages sinistres d’aspect, et vraiment, j’ai mal choisi ma monture, si nous devons avoir du tonnerre et des éclairs. Neve a tellement peur du tonnerre, et les éclairs lui font tellement perdre la tête, que c’est presqu’un péché de la sortir de son écurie, quand le temps est menaçant, cette pauvre bête ! Eh ! bien, espérons que… Tiens ! Voilà le Beffroi !

Sans trop s’en rendre compte, il mit son cheval au pas ; c’est qu’il espérait entrevoir, peut-être, le doux visage de Marcelle.

Sur le Pont du Tocsin, il aperçut Dolorès, et il arrêta sa monture, afin d’échanger quelques mots avec elle. Que voulez-vous, en l’ab-