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L’OMBRE DU BEFFROI

la découverte de l’ancienne abbaye, que Marcelle avait nommée le Beffroi, puis du désir qu’elle avait exprimé de posséder le vieux couvent.

— Marcelle désirait tellement posséder le Beffroi, acheva Henri Fauvet, que je résolus de le lui offrir, en cadeau de fête.

— Une abbaye, en cadeau de fête ! s’exclama Yolande, en riant. Une bagatelle, quoi !

Tous sourirent.

— Et puis, M. Fauvet ? demanda Jeannine.

— Et puis ?… Eh ! bien, je me suis informé auprès de M. Le Briel, notre plus proche voisin, pour savoir à qui m’adresser. Or, le Beffroi lui appartenait, et il ne demandait qu’à s’en défaire ; voilà.

— Et… la cloche, M. Fauvet ?… Tinte-t-elle encore ? demanda Jeannine.

— Mais… sans doute, Mlle Jeannine, sans doute qu’elle tinte !… Quand le vent souffle (et le vent souffle fort souvent, dans le nord) la cloche tinte, dans le beffroi. À part cela, notre petit domestique Cyp sonne toutes les heures, dans le clocher, et jamais il n’y manque. Que de fois, Marcelle et moi, nous entendons la cloche du Beffroi, alors que nous sommes en excursion un peu lointaine !

— Oh ! firent-ils tous.

— La cloche nous rappelle que l’heure passe, et, au lieu de nous éloigner d’avantage, nous revenons à la maison.

— M. Fauvet, dit Yolande, que j’aurais peur, si j’entendais tinter la cloche du Beffroi, au milieu de la nuit, alors qu’elle oscille, au souffle du vent ! Ça doit être, oh ! si, si lugubre !  !

— Lorsque tu viendras nous voir, au Beffroi, Yolande, dit Marcelle, en souriant, nous attacherons la cloche, afin qu’elle ne sonne pas, durant la nuit.

— Oh ! mais, non, par exemple ! s’exclama Jeannine. Pour ma part, je sais que je serais très effrayée, mais je ne voudrais pas manquer cette lugubre expérience pour tout au monde !… Yolande non plus, d’ailleurs.

— C’est vrai ! répondit Yolande, en riant.

— On s’y habitue, fit Dolorès ; n’est-ce pas, Marcelle ?… La première fois que tinta la cloche du Beffroi, au milieu de la nuit, cela nous fit l’effet d’un glas. Tu t’en souviens, hein, Marcelle ? demanda-t-elle. C’était trois jours après notre installation dans l’ancienne abbaye…

— Si je m’en souviens ! s’écria Marcelle.

— Comme je le disais tout à l’heure, on finit par s’y habituer et n’en plus faire de cas ; pas plus que de l’ombre qui hante les corridors, la chapelle et le clocher du Beffroi.

— Le Beffroi est donc hanté ? demanda Jeannine.

— Bien sûr ! répondit Marcelle en souriant. L’ombre d’un jeune moine, le Père Antoine, s’y promène, assure-t-on. Cependant, nous ne l’avons pas encore vue, nous.

— M. Le Briel m’avait dit que l’ancienne abbaye était hantée, dit Henri Fauvet en riant d’un bon cœur ; cela ne nous a pas empêché de nous y installer, hein, Marcelle ?

— Mais, non, petit père ! Ni vous ni moi nous n’avons peur des ombres.

— Puis-je vous demander, M. Fauvet, si le prénom de M. Le Briel est Raymond ? demanda Réal du Tremblaye.

— Oui. M. de Tremblaye ; le petit nom de M. Le Briel c’est Raymond.

— Raymond Le Briel ! fit Léon Martinel. Je le connais bien. Toi aussi, du Tremblaye tu le connais.

— Et nous aussi, nous le connaissons, de Bienencour et moi, dit Gaston Archer.

— Quel aimable garçon ! s’écria Henri Fauvet. Que de réels services il nous a rendus, lors de notre installation au Beffroi, n’est-ce pas, Marcelle ?

— Certes ! répondit Marcelle.

Elle rougit légèrement, car elle s’aperçut que Gaétan l’observait attentivement, tandis que Dolorès lui télégraphiait (à elle, Marcelle) un message taquin. Elle eut donné beaucoup pour n’avoir pas rougi, en entendant prononcer le nom de Raymond, car elle n’avait aucune raison pour cela. Mais cette imparfaite de Dolorès l’avait taquinée, plus d’une fois, au sujet de ce jeune homme, pour lequel la fille de Henri Fauvet ne ressentait qu’une franche et sincère amitié.

Gaétan avait senti son cœur se contracter, en voyant rougir Marcelle, et sa conversation avec Iris Claudier lui était revenue à l’esprit. C’était donc vrai : Marcelle était la fiancée de Raymond Le Briel ! Elle n’était plus libre, conséquemment, de disposer de son cœur !

Un soupir s’échappa de la poitrine de Gaétan. C’est qu’il aimait éperdument la filleule de sa tante Paule, la douce et charmante Marcelle… Aussi, comment avait-il osé espérer qu’une jeune fille si gentille, si belle, si parfaite, eut été libre de tout engagement ?… Était-il possible de voir cette exquise enfant, sans l’aimer follement ?… Oh ! combien il était à envier celui qui avait capturé le cœur de Marcelle, et sa promesse d’être sa femme un jour !

Mlle Fauvet, nous feriez-vous le plaisir de jouer quelque chose ? demanda Gaston Archer, en désignant un magnifique piano de concert, qu’il y avait, à l’une des extrémités du salon.

— Si ça peut vous être agréable, M. Archer, je jouerai avec plaisir.

Marcelle se mit au piano, mais au lieu de se lancer dans quelque morceau classique, elle joua une valse si entraînante, que les jeunes gens n’y résistèrent pas, et bientôt, Dolorès dansait avec Gaston, Yolande avec Réal et Jeannine avec Léon.

Gaétan s’approcha du piano, et sous le prétexte de tourner les pages de la musique de Marcelle, il dévora des yeux le visage de celle qu’il adorait en silence.

Cette valse fut le prélude de plusieurs autres, chaque jeune fille jouant du piano à tour de rôle, afin de permettre à toutes de danser, et minuit sonnait quand tous prirent congé de Marcelle et de son père.

Il était entendu que le mercredi après-midi tous seraient à la gare pour assister au départ des Fauvet.

Qu’ils passèrent vite (pour Gaétan surtout) les trois jours suivants, et que le cœur lui faisait mal à ce jeune homme si fortement épris, quand il s’achemina vers la gare, pour assister au départ de sa bien-aimée !

Personne ne manquait au rendez-vous, car tous avaient voulu dire adieu à Henri Fauvet et à sa fille, et leur souhaiter bon voyage. Chacun était muni d’un petit cadeau-souvenir pour Marcelle : une boîte de bonbons, un volume, une brochure, une revue, etc., etc. Gaé-