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L’OMBRE DU BEFFROI

de Gaétan de Bienencour, que de la considération et de la… pitié. Moitié riant, le jeune homme l’appelait : « Cousine Iris ». Il l’avait quelquefois conduite au théâtre, il lui avait fait faire plus d’une promenade en voiture ou à cheval ; cela, parce qu’il était réellement bon et qu’il lui était agréable de procurer un peu de distractions à cette jeune fille, si peu faite pour plaire, et occupant, malgré la réelle bonté de Mme  de Bienencour envers sa parente, une position dépendante.

Hélas ! Iris Claudier adorait Gaétan de Bienencour. Il était attendu ; il avait promis d’assister au bal que donnait sa tante, en l’honneur de sa filleule Marcelle Fauvet. Oh ! cette Marcelle ! Combien Iris la détestait, avec ses cheveux d’or, ses yeux de la couleur des violettes, sa bouche mignonne, son teint de lys et de roses !

— Iris, dit soudain Mme  de Bienencour, les pièces réservées à Gaétan sont-elles prêtes !

— Oui, ma tante, répondit Iris. J’y ai vu moi-même.

— Seigneur ! J’espère que je ne serai pas désappointée, et qu’il sera ici bientôt. Quelle déception ça été pour moi de ne pas le voir arriver hier soir ou ce matin ! La voiture sera à l’arrivée du train de midi ; il est onze heures. Le temps va me paraître long d’ici là !… Penses-tu, Iris, que Gaétan aurait pu changer d’idée et ne pas venir, enfin de compte ?

— Je ne le crois pas, ma tante, dit Iris, d’une voix qui tremblait légèrement.

— Ce serait, je crois, la plus grande déception de ma vie ! s’écria Mme  de Bienencour. Gaétan devrait savoir, pourtant…

— Savoir quoi, tante Paule ? fit une voix mâle.

— Gaétan ! cria Mme  de Bienencour.

— Chère tante Paule ! dit le jeune homme, accourant auprès de sa tante et la pressant dans ses bras.

— Oh ! Gaétan, que tu es bronzé, et grand, et…

— Je ne crois pas avoir grandi, pourtant, depuis l’année dernière, répondit Gaétan, en riant d’un bon cœur. Ah ! bonjour, cousine Iris ! J’espère que je vous retrouve en bonne santé ? ajouta-t-il en tendant la main à la jeune secrétaire.

— Merci, Gaétan mon cousin, répondit Iris, en levant les yeux au plafond et les fermant ensuite, ma santé est excellente.

— Je t’attendais hier soir, Gaétan, dit Mme  de Bienencour, quand elle se fut assise et que son neveu eut pris place à côté d’elle.

— Mon intention était d’arriver hier soir, aussi, tante Paule, mais, vous le savez, je voyageais en la compagnie de Gaston Archer. M. et Mme  Archer m’ont gardé à coucher chez eux, et ils sont venus me conduire en voiture ce matin. Et… pendant que j’y pense, Archer m’a bien recommandé de vous remercier chaleureusement de l’invitation que vous lui avez faite, pour votre bal ; il l’accepte avec enthousiasme.

— Cher Gaétan, dit Mme  de Bienencour, si tu savais combien il me tarde de te faire connaître ma filleule ! Tu vas la trouver si belle, si charmante ! Elle n’est pas du tout gâtée Marcelle, quoique son père ait bien fait tout au monde pour gâter sa fille.

— Monsieur et Mademoiselle Fauvet n’habitent pas la ville de Québec l’année entière, n’est-ce pas, tante Paule ?

— Ils n’habitent pas Québec du tout ! Ils demeurent tout là-bas, dans le nord d’Ontario, une maison (ancienne abbaye) qu’ils nomment le Beffroi ; nom lugubre, qui me fait toujours frissonner. C’est dans le district du Nipissingue.

— Dans le district du Nipissingue ! s’exclama Gaétan. Mais, Gaston Archer et moi nous avons exploré ce district et… ah ! j’ai mille raisons pour ne jamais l’oublier ce district !… Me décrirez-vous pas votre filleule, tante Paule ?… Est-elle brune ? Est-elle blonde ?

— Mon cher Gaétan, les descriptions ne sont pas mon fort… Je te dirai seulement que Marcelle est blonde, très blonde. Sa chevelure longue, soyeuse et abondante l’enveloppe comme un voile d’or. Ses yeux…

— Sont bleus, ajouta Gaétan.

— Pas du tout ! Pas du tout ! Ses yeux, à ma filleule, sont violets.

— Ah ! fit le jeune homme. Continuez, chère tante, ajouta-t-il, assurément fort intéressé soudain.

— Sa bouche est toute mignonne, reprit Mme  de Bienencour ; ses dents sont comme des perles ; ses joues, délicatement rosées, dans lesquelles se creusent d’enivrantes fossettes, quand elle sourit, fait que Marcelle…

— Marcelle… murmura Gaétan, tout songeur. En effet, votre filleule se nomme Marcelle, tante Paule, vous me l’aviez dit déjà… Marcelle Fauvet « M. F. » Oui ! Oui ! Continuez, je vous prie !

Mais on venait de frapper à la porte du boudoir. Après avoir reçu permission d’entrer, un domestique vint annoncer à Mme  de Bienencour que les fleurs de chez la fleuriste et le décorateur venaient d’arriver aux Terrasses. (Tel était le nom de la propriété de la marraine de Marcelle).

— Iris, dit cette dame, tu vas me remplacer, pour le moment. Tu sais comment doivent être décorés les corridors et les salons ?

— Oui, ma tante, répondit Iris, qui, au fond, était très mécontente d’être obligée de quitter le boudoir.

Aussitôt qu’Iris fut sortie, cependant, Gaétan dit à Mme  de Bienencour ;

— Si vous le permettez, tante Paule, j’irai prendre possession de ma chambre et déballer mes valises.

— Comme tu voudras, Gaétan !. As-tu ton valet avec toi ?

— Oh ! oui, et toujours le même, depuis trois ans. Jasmin est un brave garçon, répondit Gaétan, et c’est un type assez rare, ajouta-t-il, en riant. Ayant servi déjà chez un écrivain, un poète, il se permet de faire des rimes. Il est probable que je vais le trouver, en frais de rimer sur quelque chose, là-haut, dans ma chambre.

— C’est un type assez original que ton valet, Gaétan ! dit, en souriant Mme  de Bienencour.

— Original ! Vous l’avez dit, tante Paule ! Si vous entendiez Jasmin parler des œuvres du poète chez qui il était en service, comme s’il y avait contribué, lui, Jasmin, vous ririez d’un bon cœur !… « C’est en…, l’année où nous avons publié telle ou telle œuvre ». C’est à mourir de rire !… Bien, au revoir ! Allez vous occuper de vos fleurs ; moi, je m’oc-