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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

et il jeta sur Yvon un coup d’œil rempli d’étonnement et de reproches.

Inutile de le dire, la réponse de notre ami, l’évident embarras du prêtre jetèrent un froid parmi les dîneurs ; de plus, tous paraissaient profondément surpris et vivement intéressés… excepté Lionel Jacques ; celui-ci, les yeux rivés sur son assiette, ne pouvait que difficilement réprimer un sourire quelque peu amusé : vraiment, Yvon ne pardonnerait jamais au curé !

Quant à M. et Mme Foulon, les yeux grands ouverts, ils regardaient alternativement le prêtre et le jeune homme… n’y comprenant rien.

Patrice Broussailles dressait littéralement les oreilles, tandis que Madeleine Blanchet ricanait sottement.

Et Annette ?… Les yeux perdus dans le vague, rougissant et pâlissant, tour à tour, elle se mordillait les lèvres, comme pour s’empêcher de pleurer…

Soudain, la jeune aveugle dit, d’une voix tranquille, mais assurément tremblante, comme si elle avait compris que c’était à elle que le prêtre avait des objections :

— Moi, Mme Foulon, je ne pourrais pas accepter de chanter à votre concert, car je ne suis pas libre, le soir surtout.

— C’est vrai ! dit vivement le curé. Et Yvon lui en voulut d’avoir été si prompt, trop prompt, à accepter l’excuse, ou les raisons de la jeune fille.

— Mais, Annette, persista Mme Foulon, ne pourriez-vous pas, pour une fois…

— Vous et M. Ducastel par exemple, interrompit le prêtre, en s’adressant à Mme Foulon, vous pourriez fort bien organiser un concert, et je crois qu’il remporterait un grand succès.

— Qu’en dit M. Ducastel ? demanda la femme du marchand.

— Je regrette d’être dans l’obligation de vous refuser quelque chose chère Madame, répondit froidement Yvon ; mais je ne peux pas accepter… Mes nombreuses occupations…

— Ah ! Que c’est regrettable !

— Vous trouverez très facilement à me remplacer, Mme Foulon, reprit-il en souriant. Quant à moi, je… je refuse !

C’était net, décisif. Le curé soupira ; Annette détourna la tête, peut-être pour cacher ses larmes ; Lionel Jacques ne dit mot, mais il avait l’air assez mécontent ; M. Foulon… Eh ! bien, ça lui était égal, après tout, qu’il y eut un concert ou qu’il n’y en eut pas ! Patrice Broussailles souriait méchamment ; Madeleine Blanchet continuait à ricaner.

Mais Mme Foulon avait jeté sur notre héros un regard sympathique ; elle comprenait, elle, et cela lui paraissait fort dramatique cet incident qui venait de se passer.

— Pauvre, pauvre M. Yvon ! murmura-t-elle au moment où l’on sortait de table.

Elle s’était emparée du bras du jeune homme et c’est en sa compagnie qu’elle se dirigeait vers la véranda, ou l’on passerait le reste de l’après-midi.

Yvon comprit qu’elle sympathisait avec lui ; qu’elle avait lu dans son cœur, en ce qui concernait Annette, et il sentit ses paupières se mouiller. Ce ne fut que par un suprême effort de sa volonté qu’il parvint à s’empêcher de pleurer ; il était si, si malheureux !

Quoiqu’il fût avec Annette, qu’il pouvait la regarder, lui parler, la journée parut longue à Yvon et c’est lui, le premier, qui parla de retourner à W…

— Savez-vous, M. Yvon, dit Mme Foulon, au moment où tous se disposaient à quitter le Gîte-Riant, je donnerais… je ne sais quoi… pour avoir la chance d’explorer la houillère dont vous êtes Inspecteur.

— Et moi donc ! firent, toutes ensembles, les personnes présentes.

— N’admettez-vous jamais d’étrangers dans votre… Ville Noire ? demanda, en riant, la femme du marchand.

— Pas souvent… Quelques fois… mais par rare exception, répondit Yvon, souriant à son tour.

— Si tu faisais exception en notre faveur, mon garçon ? suggéra Lionel Jacques. Je suis certain que tous, nous jouirions de pareille excursion.

— Peut-être… murmura le jeune homme.

— Pourquoi pas vers le milieu du mois prochain ? proposa M. Foulon.

— Le mois prochain ! s’écria Lionel