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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

ce bon M. Francœur, je crois vraiment que cette maison est « hantée ».

Notre jeune ami passa le reste de la nuit debout ; il n’essaya même pas de se remettre au lit, sachant bien qu’il était trop énervé pour dormir.

Vers les quatre heures du matin arriva Lionel Jacques. Yvon l’entendit parler à Alphonse Cloutier ; il l’entendit aussi se mettre au lit.

Les sanglots, les chuchotements ne se firent plus entendre ; un silence complet enveloppait le Gîte-Riant

Mais Yvon Ducastel se trouvait aux prises avec un mystère… et il eut donné beaucoup pour pouvoir en trouver la solution.


Chapitre V

FAVEUR ACCORDÉE


— Quel beau temps il fait, n’est-ce pas, Jasmin ?

— Bien beau, M. Ducastel, bien beau… Pourtant, je crois que nous aurons de l’orage, avant ce soir.

— Hein ? De l’orage ? Quand le firmament est si beau !

— Ces petits nuages, M. Ducastel sont de mauvais augure, dit Jasmin, en désignant de petites nuées toutes blanches, à l’air fort innocent, qui passaient, d’instant en instant, devant le soleil.

— Ah ! Bah ! fit Yvon, en haussant les épaules.

— J’ai la réputation (M. Jacques vous le dira d’ailleurs) de m’y connaître, en fait de changement de temps, M. Ducastel ; or, je prédis de l’orage avant la fin de la journée… vous verrez si je me trompe.

— Vous avez l’avantage sur moi, alors, mon ami, dit Yvon en souriant, car je n’ai jamais été prophète de ma vie… pas même du temps.

— Si vous allez à la ville cet après-midi, reprit le domestique, sans s’apercevoir que le jeune homme s’amusait quelque peu à ses dépens, ce serait prudent que vous reveniez de bonne heure… Pour quelle heure désirez-vous avoir la voiture, M. Ducastel ?

— Pour trois heures précises, Jasmin.

— Elle sera prête, Monsieur.

À trois heures donc, Yvon quittait la Ville Blanche ; il se mettait en route pour W…

Les prédictions de Jasmin semblaient devoir se réaliser cependant, car, aux nuées éparses de l’avant-midi, d’autres nuées étaient venues se joindre, et le soleil ne faisait plus que de rares et courtes apparitions.

En arrivant à W… notre ami parcourut, en voiture, la ville, dans toute sa longueur. Il ne se le cachait pas ; il cherchait à voir la jeune aveugle… Il la vit. Elle chantait, au coin d’une rue, non loin de chez les Francœur.

Malgré le désir qu’il avait eu de l’apercevoir, Yvon continua son chemin. Il se serait bien gardé de descendre de voiture pour parler à sa petite amie ; cela eut attiré l’attention sur elle peut-être.

Il est vrai qu’il n’y aurait rien de mal à adresser la parole à Annette et à déposer une pièce de monnaie dans sa main, comme eut pu le faire tout autre passant ; seulement, à cause de la position un peu en vue qu’il occupait à W… celle d’inspecteur de la houillère, il comprenait qu’on était porté à l’observer. Rien ne paraît intéresser certaines personnes comme les faits et gestes de ceux qui, par leur position sociale, leur intelligence, leurs talents, ou leur fortune, semblent habiter, pour ainsi dire, une sphère à part ; leurs actions les plus ordinaires provoquent, assez souvent, soit l’admiration, soit la censure d’une classe de badauds, que l’on est convenu de désigner du nom de snobs.

Mme Francœur essaya de persuader Yvon à rester chez elle jusqu’au lendemain… mais inutilement.

— Entendez-vous gronder le tonnerre, M. l’inspecteur ? s’écria-t-elle.

— Il est loin encore, le tonnerre, je veux dire, Mme Francœur : j’aurai le temps de le distancer, je crois, répondit le jeune homme en riant.

— Ah ! Mais ! Il se rapproche rapidement !… Et voyez donc ce firmament, M. Ducastel ; jamais je