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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

lade, M. Ducastel ? Je ne me suis pas informée de lui encore.

— Il se porte si bien. Mme Francœur, qu’il a l’intention de se faire ramoner chez lui lundi ou mardi.

— Vraiment ? Ah ! Tant mieux !

Comme Yvon sortait de chez le sellier, la selle étant réparée, il aperçut non loin, quelques personnes rassemblées.

— Qu’est-ce que ce rassemblement ? demanda-t-il à Léon, qui s’était offert à se charger de la selle, ce à quoi le jeune homme avait consenti, se proposant bien de rémunérer l’enfant ensuite. Que font ces gens ?… Un accident ?

— Oh ! non, M. l’Inspecteur !… C’est Annette, l’aveugle, répondit Léon. Elle chante, en s’accompagnant sur sa guitare ; c’est ainsi qu’elle gagne sa vie cette pauvre jeune fille.

— Ah ! fit Yvon, compatissant tout de suite. La pauvre enfant ! ajouta-t-il. Aveugle, hein ?

— Oui, M. l’Inspecteur. Tout le monde a pitié d’elle.

— Je le crois sans peine… Tiens, petit, donne-moi la selle et va déposer cette pièce de monnaie dans la main de la jeune aveugle, veux-tu ?

— Si je le veux ? Certes, oui. Monsieur ! s’écria Léon. Oh ! ajouta-t-il, la belle grosse pièce blanche !… Je crois bien qu’Annette n’en reçoit pas de pareilles souvent !

— Cours, Léon. Je vais t’attendre ici.

L’enfant partit à toutes jambes, malgré son infirmité et arriva auprès de l’aveugle, qui s’apprêtait à chanter.

— Tenez, Mlle Annette, fit-il. Un monsieur… M. l’inspecteur, vous savez… vous envoie cette belle grosse pièce blanche.

— Merci ! répondit l’aveugle, d’une voix douce. Remercie ce monsieur pour moi, n’est-ce pas. Léon, mon petit ?

— Je n’y manquerai pas. Mlle Annette ! répondit l’enfant, qui repartit en courant.

Il arriva, tout essoufflé, auprès d’Yvon.

— Annette m’a prié de vous remercier. M. l’Inspecteur, dit-il, en reprenant la selle des mains du jeune homme.

— La pauvre enfant ! murmura de nouveau notre ami.

Quittant la ville de bonne heure, Yvon se hâtait de retourner à la Maison Grise. Presto n’appréciait peut-être pas beaucoup l’idée de traîner une voiture, mais il se comportait assez bien, dans les circonstances, allant bon train… pour se débarrasser le plus tôt possible, sans doute, d’une fonction qui l’humiliait quelque peu… Quand on est cheval de selle, voyez-vous, on n’aime pas à tirer des express !

Mais soudain, le jeune homme arrêta son cheval et il écouta… Une voix douce et pure parvenait jusqu’à lui, chantant une mélodie plaintive, qu’accompagnait le son d’une guitare ; cette voix, c’était celle d’Annette, l’aveugle.

— Pauvre Annette ! Pauvre enfant aveugle ! murmura encore une fois Yvon, tandis que, sans s’en rendre compte peut-être, ses yeux se mouillaient de larmes.

FIN DE LA
PREMIÈRE PARTIE

DEUXIÈME PARTIE
LA VILLE BLANCHE

Chapitre I

LE DOMAINE DE
LIONEL JACQUES


— Est-ce que les mouvements de la voiture vous fatiguent beaucoup, M. Jacques ?

— Pas du tout, Yvon. On se croirait dans un bon lit, à bord d’un navire, en temps calme.

— Ah ! Tant mieux ! Le chemin n’est pas beau… Pour une promenade à cheval, passe encore ; mais pour une voiture !… Le terrain est joliment rabotteux. Votre pied ?…

— Ne me fait presque pas souffrir.

— J’en suis bien content !… Quel bonheur d’avoir quitté, pour toujours, la Maison Grise et son sinistre propriétaire, n’est-ce pas, M. Jacques ?

— Pourtant, Yvon, tu ne peux le nier, M. Villemont a été parfait… presque, envers nous, ces derniers