Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Oh ! Je le sais bien !… C’est pourquoi je suis descendu de cheval pour m’assurer que c’était bien lui… C’était votre chien, M. Villemont ; j’ai vu son nom gravé sur son collier.

Une expression de malaise parut sur le visage de l’homme de la Maison Grise puis il dit, en hésitant quelque peu.

— Guido se sera échappé.

— Vous tenez donc votre chien enfermé quelque part, toute la journée ?

— Peut-être… Et puis, après ?

— C’est une honte ! C’est de la cruauté ! s’écria Yvon. La pauvre bête !

M. Ducastel, fit M. Villemont, d’un ton fort mécontent, dois-je vous répéter que je n’aime pas qu’on se mêle de mes affaires ?

— C’est une honte ! C’est de la cruauté, je le répète, moi aussi !

— Guido m’appartient ; j’en fais ce qui me plaît.

— Ah ! Mais ! Tiens ! J’y pense ! Comment votre chien aurait-il pu parcourir toute la distance, d’ici à la ville ?… C’est impossible ! Il doit y avoir pour le moins, huit bons milles, de la Maison Grise à W… !

— Vous ne possédez par une notion très exacte des distances, à ce que je vois ! répondit l’hermite, en riant.

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que, d’ici à W…, il y a exactement, à vol d’oiseau, deux milles et trois-quarts.

— Vous badinez !

— Je n’ai jamais été si sérieux de ma vie… Le Sentier de Nulle Part, le chemin le plus direct, de la ville ici, n’est que de deux milles.

— Ce n’est pas croyable ! s’exclama Yvon.

— On le croirait plus long, à cause de certains détours… D’ailleurs, rien ne paraît interminable comme un sentier sans perspective. Quant à l’autre chemin, celui que vous avez pris aujourd’hui, il est plus long (vous avez dû vous en apercevoir) car il fait un crochet, pour éviter l’amoncellement de rochers.

— Ma foi ! Les renseignements que vous venez de me donner…

— Expliquent la présence de Guido, à W…„ n’est-ce pas ? Qu’un chien fasse une course de deux ou trois milles, il n’y a rien là qui doive surprendre.

— Bien sûr ! fit Yvon… Sans ces explications que vous venez de me donner, M. Villemont, j’aurais été porté à croire que Guido accompagnait quelqu’un à la ville aujourd’hui, acheva-t-il avec un rire insouciant.

S’il n’avait été occupé à préparer le plateau pour son malade, le jeune homme eut été grandement surpris de voir l’impression que ces dernières paroles avaient produites sur l’hermite ; il avait pâli et rougi, tour à tour, tandis que la bouche grande ouverte, il regardait Yvon. Une expression de réelle crainte se lisait dans ses yeux.

La veillée passa agréablement pour nos deux amis. Le colis qu’Yvon avait apporté de la ville contenait bien des choses utiles : entr’autres, une robe de chambre pour le malade.

— Demain, j’essayerai de vous installer dans votre fauteuil, M. Jacques, dit le jeune homme, et c’est alors que vous apprécierez votre robe de chambre.

Il me semble que vous aurez l’air moins malade, lorsque vous pourrez quitter votre lit.

— Ce que je désire surtout, c’est de quitter définitivement cette maison, Yvon. Quand sera-ce ?

— Bientôt, je l’espère… dans huit jours au plus, probablement. J’ai fait des arrangements avec M. Francœur ; il me prêtera son express, et couché là-dedans, vous voyagerez comme un prince. Les Francœur vous invitent fort cordialement à passer le temps de votre convalescence chez eux.

— Quels braves gens ! s’écria Lionel Jacques. Mais, tu le penses bien, mon garçon, je préfère, de beaucoup retourner chez moi, en partant d’ici, et je t’invite, fort cordialement, moi aussi, à passer chez moi et avec moi le reste de ton congé.

— Merci, M. Jacques !

— Iras-tu à la ville demain ?

— Oh ! non ! Après demain seulement… Demain, je me propose de faire de petites excursions, dans les environs. Je veux escalader un