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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

voir se l’expliquer…

La cloche de la porte d’entrée sonnant à trois reprises, interrompit Annette.

— Hein ! s’écria Lionel Jacques, en jetant les yeux sur le cadran. Il est onze heures et vingt minutes, ajouta-t-il. Quels visiteurs peuvent bien m’arriver si tard ?

S’étant excusé, il alla ouvrir. De l’étude, on entendit un cri léger d’étonnement, puis l’échange de quelques phrases, à voix plutôt basse, suivi du bruit des pas de deux hommes se dirigeant vers l’étude.

— Yvon, annonça Lionel Jacques, en entrant, voici quelqu’un qui a affaire à toi.

Ayant fait un pas de côté, il laissa passer son visiteur.

M. Broussailles ! cria Yvon, en fronçant les sourcils. Que me voulez-vous ? demanda-t-il froidement.

— Si je suis venu ici si tard, c’est pour vous demander de me pardonner, Ducastel, dit, sincèrement Patrice. Je regrette, plus que je ne pourrais vous le dire, d’avoir trempé dans ce complot, dans le but de vous faire épouser Mlle d’Azur… Voyez-vous, je suis pauvre… et dix mille dollars était somme à me tenter.

— Êtes-vous… sincère ? demanda Yvon.

— Certes, oui, je le suis… Mlle d’Azur… je savais à quelle… quelle race elle appartenait… La voyant de profil, certain jour, je compris… Ses yeux rougeâtres, sa peau blafarde, sans la moindre apparence de matière colorante, ses lèvres épaisses, ses dents trop blanches, trop régulières… puis la racine de ses cheveux, blanche comme de la neige… Oui, je devinai… Mais je vous en voulais, Ducastel, et je tenais à me venger de vous, en vous faisant épouser, si possibilité il y avait, une… une négresse blanche… Que Dieu me pardonne ! C’était la plus lâche, la plus vile vengeance au monde !

— Allons ! Tout est bien qui finit bien, Broussailles ! répondit Yvon en tendant la main au « professeur » en souriant.

— Merci, Ducastel, merci !… Quant à ce que j’ai raconté à M. d’Azur concernant cet… incident de jadis à propos de… de cet assistant-caissier de la banque, vous savez, M. d’Azur se taira, parce qu’il sait ce qui est… bon pour sa… santé, à lui et à sa fille… Au revoir donc, à tous !

Aussitôt, Patrice Broussailles quitta l’étude, puis la maison.

— Je le crois sincère, Yvon, fit Lionel Jacques, après le départ de Patrice Broussailles.

— Je le crois, moi aussi, M. Jacques, répondit notre jeune ami.

— Ce pauvre Patrice a été tellement horrifié de l’attentat de meurtre fait contre notre Annette, que cela l’a… converti, je crois, dit, en riant Lionel Jacques.

— Maintenant, je crois que nous ferions bien de nous séparer pour la nuit, proposa Mme Francœur. Je suis certaine que Mlle Annette doit être très fatiguée, et puisque nous partageons la même chambre, elle et moi, je tiens à ce qu’elle se couche au plus tôt et qu’elle dorme bien.

Tous se levèrent immédiatement.

— Je ne me sens pas très fatiguée, dit la jeune fille, mais je vais aller prendre un peu de repos… Demain… Demain, je retourne à la Maison-Grise et Dieu sait quelle réception me fera mon grand-père ! ajouta-t-elle, en pâlissant un peu.

— Nous serons là, avec vous, Yvon et moi, Annette, répondit Lionel Jacques. M. Villemont ne nous effraie nullement, nous, je vous l’assure, continua-t-il en riant. Tout ira bien, vous verrez !

— Je l’espère !… Mais, pauvre grand-père ! il a l’air si… si sinistre, me semble-t-il, depuis qu’il a coupé toute sa barbe !

— Tiens ! Il a coupé sa barbe ! s’écria Yvon. Cela doit changer sa physionomie complètement.

— Depuis que sa barbe ne cache plus sa bouche à l’expression vraiment cruelle, il me fait peur mon grand-père ! dit Annette en frissonnant.

— Ne craignez rien Annette, fit Yvon. Comme le dit M. Jacques, nous serons là, tous deux, lui et moi.

— Voilà qui me rassure d’avance, répondit en souriant la jeune fille. Bonne nuit, M. Jacques ! Bonne nuit, M. Yvon !

— Bonne nuit et bons rêves ! fi-