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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

salon des Francœur, ce soir-là, ils étaient, tous, portés à croire qu’ils avaient été sous l’effet de quelqu’horrible cauchemar.

Yvon ne cessait de s’éponger le front où perlaient des gouttes de sueur froide ; c’est qu’il l’avait échappé belle ! Si Annette n’avait pas recouvré connaissance à temps, qui sait ce qui serait arrivé ?… Entre Richard d’Azur et Patrice Broussailles, il se serait trouvé dans une situation, pour le moins, difficile ; il aurait probablement été forcé d’épouser la fille du millionnaire… envers et malgré tout.

— N’y pense plus, Yvon, fit, soudain, Lionel Jacques. C’est fini ce chapitre de ta vie… Demain matin, au plus tard, Mlle d’Azur aura quitté W… en compagnie de son père…

— Et de sa mère… ajouta Yvon, d’une voix tremblante.

— Ô ciel ! Dire que Salomé, la négresse, est la mère de Mlle d’Azur ; que cette femme a gardé le secret de sa maternité pendant tant d’années, ne le dévoilant que pour se venger de son mari. M. d’Azur… M. Hynes plutôt, parce qu’il voulait se débarrasser d’elle ! s’écria Mme Francœur.

— Grand Dieu ! Ça donne des nausées, rien que d’y penser ! fit Yvon en frissonnant. Quand je me dis que, si ce n’eut été de Mlle Annette, j’aurais peut-être été forcé d’entrer dans cette… cette famille !…

— Allons ! N’en parlons plus, mon garçon, dit Lionel Jacques. Demain, ils partiront ; même, je ne serais pas du tout étonné s’ils quittaient W… par le train de nuit ces… ces nègres…

— Emportant avec eux leurs tapis et leurs fleurs, ajouta le jeune homme en riant ; c’est qu’il était presqu’à bout de ses nerfs.

M. d’Azur m’a demandé d’accepter les tapis et les fleurs, M. Ducastel, annonça, assez naïvement Mme Francœur.

— Je le crois bien ! s’écria, en riant Lionel Jacques.

— Ma foi ! Je ne les vois pas, voyageant, d’une ville Européenne à une autre, suivis de leurs tapis, Mme Francœur, s’exclama Yvon, et tous de rire.

— Maintenant, dit gravement le maître de la maison, je crois que Mlle Annette a bien des choses à nous dire… à nous expliquer…

— C’est vrai ! avoua la jeune fille en pleurant. Vous le savez tous, reprit-elle, je ne suis pas aveugle… je ne l’ai jamais été… Mon grand-père…

— Chère Annette ! interrompit Yvon, ayant eu l’honneur… et le bonheur de faire la connaissance de M. Villemont, nous ne doutons pas qu’il a dû vous martyriser presque, pour vous faire consentir à vous faire passer pour aveugle.

— Vous avez raison, M. Yvon… J’ai été obligée de lui obéir, car je le crains, plus que je pourrais vous le dire. C’est qu’il est terrible, dans ses colères !

— Quiconque connaît l’homme de la Maison Grise n’en saurait douter un seul instant, dit Yvon.

— Pauvre petite ! fit Mme Francœur, en entourant Annette de ses bras.

— Je savais que ce que je faisais était punissable par la loi, reprit la jeune fille, et la crainte de la loi m’aurait fait garder le silence, bien longtemps encore… Cependant, je ne pouvais plus me taire, puisqu’il s’agissait de vous sauver plus que la vie, M. Yvon ! ajouta-t-elle, éclatant en sanglots.

— Pauvre chère Annette ! s’écria Yvon, d’une voix très émue.

— Depuis que j’ai l’âge de comprendre toute l’horreur de ce que j’étais contrainte de faire, je souffre moralement, à en perdre la raison… Que de nuits j’ai passées à errer dans les souterrains de la Maison Grise

— Les souterrains de la Maison Grise, dites-vous ? s’exclama Yvon. Ces souterrains… parlez-nous en donc. S’étendent-ils loin ?

— D’après mon calcul, ils doivent aboutir aux caves du Gite-Riant.

— Alors… Alors. Annette, je vous ai entendue pleurer, la nuit, dans les souterrains de la Maison Grise ! Oui… Et, une nuit, je vous ai entendu crier, puis tomber…

— Ah ! Cette nuit dont vous parlez grand-père m’avait surprise dans les souterrains et j’ai été tellement effrayée, en l’apercevant