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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

quelques instants.

Notre jeune ami ne pouvait distinguer les traits de celui qui était tombé sur le chemin ; il remarqua seulement que c’était un homme d’âge mur, portant des favoris bruns et une moustache dito. L’important, pour le moment, c’était de le secourir.

Évidemment, le malade (ou le blessé) n’était qu’évanoui. Faute d’eau pour lui humecter le visage, Yvon se mit à lui frotter les mains et les bras, espérant ainsi rétablir la circulation du sang.

Le malade ouvrit un instant les yeux et ses lèvres remuèrent ; mais aucun son ne sortit de sa bouche. Cela n’avait duré que l’espace d’un éclair ; pourtant, Yvon venait de s’écrier :

— Ciel ! c’est M. Jacques… M. Lionel Jacques, aussi vrai que je me nomme Yvon Ducastel !… Comment se fait-il que je le retrouve ici… et en cet état ?… La dernière fois que je l’ai vu (il y a trois ans de cela, il est vrai) il était Gérant de banque, dans une des plus grandes villes de la province de Québec… Cependant, je ne saurais me tromper ; cet homme… ce malade… ce blessé peut-être, c’est bien « M. le Gérant », comme nous l’appelions alors… Mais… M. Jacques, habitant la Nouvelle-Écosse et demeurant… à ma porte presque, sans que je m’en doute !… C’est presqu’incroyable !

Tout à ses réflexions, Yvon ne s’était pas aperçu d’une chose ; c’était que Lionel Jacques avait les yeux grands ouverts et qu’il regardait fixement celui qui était penché sur lui.

— Mon ami… murmura-t-il.

— Ah ! fit le jeune homme. Vous sentez-vous un peu mieux, Monsieur ?

Il ne voulait pas l’appeler par son nom… pas maintenant ; plus tard, lorsque le malade se sentirait mieux, il se ferait connaître.

— Je… Je me suis sottement évanoui… dit Lionel Jacques.

— Que vous est-il arrivé ? questionna Yvon.

— Je me suis donné une entorse, je crois.

— Une entorse ? Ciel ! Que vous devez souffrir !

— J’ai fait un faux pas, je m’en souviens… Je suis tombé de tout mon long ; mais croyant que je ne m’étais pas fait grand mal, j’ai essayé de me relever… La douleur était si atroce, que j’en ai perdu connaissance. C’est mon pied droit… Si vous pouviez enlever ma chaussure…

— Certainement ! dit Yvon. Je vais essayer, du moins… Mais je crains que ce soit très pénible.

Enlever la chaussure à un pied qui vient d’être tordu par une entorse, ce n’est pas chose facile.

— Je vais être obligé de couper votre chaussure avant de pouvoir l’enlever, dit le jeune homme. Votre pied est tellement enflé déjà !

— Coupez ! Coupez ! Et hâtez-vous, mon ami, s’il vous plaît ! Le fait est que j’endure un véritable martyre, dans le moment.

Ce fut long, pénible et très douloureux. Quand, enfin, ce fut fait, Lionel Jacques soupira, soulagé.

— Merci, jeune homme, fit-il. Et maintenant…

— Je vais vous reconduire chez-vous, Monsieur, acheva Yvon.

— Je ne pourrais pas marcher, non, pas même un pas, dit Lionel Jacques, et, ajouta-t-il avec un sourire, quoique vous soyez jeune et vigoureux, je ne crois pas que vous puissiez me porter.

— J’ai mon cheval, ici, tout près, fit notre jeune ami. Presto ! appela-t-il. Aussitôt, le cheval accourut et posa sa tête sur l’épaule de son maître.

— La superbe bête ! s’écria le blessé.

— Je vais vous aider à monter sur le dos de Presto, Monsieur, et à petits pas, pour ne pas trop vous secouer, mon cheval vous portera jusque chez-vous. Inutile de vous dire que je le conduirai par la bride, n’est-ce pas ?

— Ça me paraît… impraticable… murmura Lionel Jacques.

— Mais ça ne l’est pas, assura Yvon. Ah ! Voici l’orage, tout de bon ! s’écria-t-il ensuite.

— Chez moi… c’est trop loin… bien trop loin… balbutia Lionel Jacques, qu’Yvon venait d’installer, tant bien que mal, sur le dos de Presto.

— Vous ne pouvez pourtant pas