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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

W… eut vu un déploiement semblable à celui dont nous venons de parler. C’est que, le lendemain matin, à dix heures, aurait lieu un grand mariage ; celui de Luella d’Azur, fille de Richard d’Azur, le millionnaire, à Yvon Ducastel, l’inspecteur de la houillère.

Plus d’un enviait le sort d’Yvon Ducastel. Plus d’un aussi se réjouissait de l’exceptionnelle chance de ce jeune nomme, pauvre, après tout, et que tous estimaient : le lendemain matin, il allait épouser des millions, puis il partirait, le soir même de son mariage, pour un voyage de plusieurs mois, à travers l’Europe… Pourrait-on désirer plus doux sort, plus idéale perspective ?

Pourtant… Ah ! pourtant…

Chez Mme Francœur, dans ces pièces, si luxueuses maintenant, au milieu de ce décor si riant, ce n’était pas toujours des visages gais que l’on entrevoyait… On apercevait, parfois, un visage pâle, navré ; celui du futur marié. En d’autres temps, c’était celui de Salomé, la négresse, effrayant à voir, celui-là, à cause de son expression désespérée, en même temps que rageuse.

Yvon, sans nouvelle d’Annette, depuis deux jours, était dans une inquiétude affreuse.

Salomé, à qui on avait dit, la veille, qu’on n’aurait plus besoin de ses services, était en frais de perdre la raison… Comment ! On voulait la séparer de Mlle Luella, de celle qu’elle avait élevée, elle, Salomé ?… On la chassait, ainsi qu’une servante infidèle ?… Ah ! M. d’Azur n’avait qu’à bien se tenir… Celle qu’on chassait si impitoyablement, n’avait pas dit son dernier mot… Et quand elle parlerait… demain… non, ce soir… on verrait… ce qu’on verrait !

Étienne Francœur, lui aussi, tranchait quelque peu le décor de noces ; il paraissait nerveux, inquiet, mal à l’aise ; comme s’il eut été taloné par une pensée lui causant du remords. C’était lui, Étienne, qui avait, depuis une semaine, apporté à Yvon, trois ou quatre fois, des nouvelles d’Annette, et par la réception, qui avait été faite à ces nouvelles, il savait à quoi s’en tenir sur les sentiments du jeune homme… il savait que celui-ci n’épousait Mlle d’Azur que parce qu’il croyait lui devoir de la reconnaissance, le cœur de « M. l’Inspecteur » appartenait à la pauvre aveugle.

Ah ! si Étienne Francœur avait pu parler ; s’il avait pu dire à Yvon qu’on l’avait trompé !… Mais Nathaline le surveillait de près ; elle le guettait « comme un chat guette une souris »… Il n’avait qu’à se taire… et laisser faire.

Après le souper, ce soir dont nous parlons, pour la dernière fois, Yvon se rendit à son bureau. Il sentait le besoin d’un peu de tranquillité, de solitude ; le brouhaha de la maison l’avait rendu irritable et nerveux. Il n’était que sept heures moins le quart d’ailleurs, et Luella ne devait descendre au salon que vers les neuf heures, vu qu’il lui restait encore certains derniers préparatifs à faire.

Ayant jeté les yeux sur sa montre, au moment de quitter la maison et ayant constaté l’heure peu avancée, il se dit :

— J’aurais le temps de seller Presto et de me rendre à la Ville Blanche prendre des nouvelles d’Annette… Les dernières nouvelles (celles d’hier) n’étaient pas rassurantes ; la pauvre enfant était encore dans le coma… Pourtant, reprit-il, ça ne serait peut-être pas tout à fait selon les convenances cette visite… M. Jacques même n’en approuverait sans doute pas… Non ! Je dois me contenter d’aller à mon bureau, ou je pourrai me reposer la tête un peu… et aussi les oreilles. Allons !

Comme il s’apprêtait à ouvrir la porte de son bureau, il entendit marcher derrière lui, et bientôt, il distingua un homme qui paraissait hâter le pas, dans l’intention de lui parler : c’était Ludger Poitras, l’infirme, dont l’unique enfant, Anita, était morte le soir même de l’attentat à la vie d’Annette et de la descente d’Yvon dans la mine.

— Tiens ! Bonsoir, Ludger ! fit Yvon.

— Bonsoir, M. Ducastel ! répondit l’infirme. Monsieur, reprit-il, je désirerais vous entretenir pendant quelques instants, si ce n’est