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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

soleil, et toujours il subsiste un semblant de lueur, qui permet à l’œil, une fois accoutumé, de distinguer un peu quelque chose.

Mais dans une houillère ! À des centaines de pieds sous terre ! En ce lieu si lugubre où jamais le soleil n’a pénétré, c’est toute autre chose. Horrible… C’est là le vrai mot… oui, c’est horrible !

L’auteur de ce récit a exploré déjà une mine de charbon de la Nouvelle-Écosse. Rendus à 2,000 pieds sous terre, et alors que l’inspecteur de la mine, qui l’accompagnait, inspectait certains travaux de charpenterie, elle voulut acquérir une petite expérience personnelle. Tournant donc le dos à ses compagnons et déposant par terre, derrière un mur, sa lanterne, elle s’avança de quelques pas dans un des couloirs de la houillère… Mal lui en prit… et aujourd’hui encore, elle ne peut se rappeler cette aventure sans frémir. L’obscurité affreuse dont elle fut enveloppée la fit crier d’horreur… On vint vite à son secours, la croyant dans quelque danger.

Yvon Ducastel venait de traverser mille dangers, on le sait, cheminant, ainsi qu’il l’avait fait, soit assis, soit à genou et à reculons, longeant des précipices, embarrassé de sa lanterne, qu’il était obligé de tenir d’une main tandis que, de l’autre, il se cramponnait soit aux rails de la voie ferrée, soit à quelque fragment de charbon… Mais ces dangers lui paraissaient n’être rien, rien, lorsqu’il les comparait à ceux du moment.

Il était là, debout sur une étroite et courte corniche… Derrière lui était un gouffre auquel il ne pouvait songer sans être pris de vertige… N’osant changer de position, même un instant ; n’osant ni avancer, ni reculer… L’obscurité dans toute son horreur, l’enveloppait comme un suaire… Il frissonnait de la tête aux pieds et une sueur froide, glacée, lui inondait le visage et les mains…

— Rien ne saurait être pire que la position où je me trouve ! se disait-il. Ô ciel ! Que va-t-il advenir de moi !

Au milieu de ses angoisses, il se rappela soudain ce que Lionel Jacques lui avait dit, un jour :

— Tu sais, mon garçon, lui avait-il dit, en ce monde, il y a toujours moyen de se consoler en se disant : « Ça pourrait être pire encore » !

En ce moment pourtant, qu’imaginer de pire que la situation de notre jeune ami ?… Mais… oui… Yvon se dit tout à coup, que ça aurait pu être infiniment pire… Si sa lanterne s’était éteinte alors qu’il avait en charge d’Annette, qu’aurait-il fait ?… Dans l’affreuse obscurité, il n’aurait pas vu la corniche, et tous deux auraient été écrasés sous le premier char qui serait passé, ou bien, ils auraient roulé dans le gouffre.

Tout de même, c’était bien terrible pour lui de ne pouvoir bouger, sans risquer d’être précipité dans quelqu’abîme. Il était condamné à une complète immobilité… et même, lorsqu’il sentit quelque chose passer sur ses pieds, puis se griffer à ses pantalons ; quelque chose qu’il savait être un, ou plusieurs rats, il n’osa broncher.

Les houillères sont infestées de rats ; c’est reconnu. Notre héros, comme tant d’autres, avait en horreur ces sales bêtes. Bientôt, il le pressentait, ils arriveraient par bandes… comment s’en défendrait-il ?

Heureusement, il tenait encore à la main sa lanterne éteinte ; cette lanterne était son arme défensive, et lorsque l’un de ces rongeurs, trop hardi, osa grimper jusqu’à sa taille, il l’assomma net, d’un coup de lanterne.

Et tout le temps, derrière lui, Yvon entendait de sinistres bruissements ; le gouffre était peuplé d’oiseaux de nuit. Plus d’une chauve-souris vint se poser sur la tête du malheureux. Heureusement, il avait gardé sa casquette, ce qui le protégea du hideux contact de ces dégoûtantes bêtes. D’autres vinrent se poser sur ses épaules, lui frôlant le visage de leurs hideuses ailes ; l’une d’elles se faufila entre les doigts du jeune homme et celui-ci crut vraiment qu’il allait se rejeter en arrière (c’est-à-dire dans le gouffre) pour s’en débarrasser.

Ensuite, ce furent des battements d’ailes, lourds, pesants ; des hiboux prenaient leurs ébats. Si l’un d’eux s’acharnait à lui, Yvon