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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

châssis sont barricadés, cela ne fait-il pas penser à un moribond, dont les yeux sont déjà voilés par l’approche de la mort ?… Ou bien encore, à un squelette, aux orbites vides ?…

Un sentiment d’inexplicable malaise étreignit notre héros soudain ; il se mit à observer les alentours de la Maison Crise, dans l’espoir d’y découvrir un autre chemin, pour retourner chez lui…

Son espoir ne fut pas déçu ; à sa droite était un chemin, rocailleux, celui-là aussi et encaissé dans de hauts rochers, il est vrai ; cependant, il s’y risquerait. Chose presque certaine, ce chemin qu’il venait de découvrir ne saurait être pire que le Sentier de Nulle Part.

Il lui fallait se hâter ! L’orage fondrait sur lui dans quelques instants. Le firmament avait revêtu une teinte blafarde ; le tonnerre roulait presque continuellement, et les éclairs illuminaient les environs, comme en plein jour. Non qu’il fît nuit encore ; il était à peine huit heures du soir et on était à la fin du mois de mai ; mais on y voyait à peine ; l’obscurité régnant partout, à cause de l’approche de l’orage.

Yvon se disposa à partir… Il n’aurait pas passé la nuit dans les environs de la Maison Grise pour tous les biens de la terre. Ce qui lui faisait hâter son départ c’était surtout une nuée de chauve-souris voltigeant autour de la maison. Or, notre jeune ami avait une horreur instinctive de ces sales bêtes. Jamais il n’avait pu les tolérer ; leur vol pesant et rasant le sol, leur approche silencieuse, sans cris, sans battements d’ailes ; tout cela lui causait, en plus, un insurmontable dégoût.

Jetant un dernier coup d’œil sur la façade de la maison, Yvon ne put retenir un cri d’étonnement et il fut saisi d’une superstitieuse terreur, car, à l’une des fenêtres barricadées, entre les montants de l’un des X, il venait d’apercevoir deux yeux noirs, furieux, qui l’observaient… Dans la pénombre, il crut entrevoir un visage émacié, entouré d’une longue barbe grisonnante, inculte…

Ce ne fut qu’une vision passagère d’ailleurs : le visage aux yeux furibonds ne fit qu’apparaître et disparaître… Mais ce fut assez pour Yvon Ducastel ; il ne fit « ni un ni deux » ; un coup de cravache appliqué sur la croupe de son cheval et celui-ci s’élança, de lui-même, dans le chemin que son maître venait de découvrir.

Yvon avait quitté, pour toujours, il en était fermement convaincu, les environs de la Maison Grise.


Chapitre III

L’HERMITE


Le nouveau chemin, le chemin de retour plutôt, valait mieux, infiniment mieux que le Sentier de Nulle Part ; sans doute, il était rocailleux ; sans doute aussi il était encaissé dans de hauts rochers ; mais il était assez large et on entrevoyait des éclaircis de temps à autre, ce qui faisait soupirer d’aise le jeune aventurier.

— Je vais retourner à ma maison de pension et y passer la nuit, se dit-il. C’est cette bonne Mme Francœur qui va être étonnée de me revoir si tôt, moi qui étais parti en chevauchée d’un mois ! Ha ha ha ! rit-il d’un bon cœur. Demain… Non, après-demain, je partirai… tout de bon, cette fois, et je me méfierai des sentiers inconnus, ne conduisant nulle part… Si, au moins je… Eh ! bien, Presto, qu’y a-t-il ? s’exclama-t-il soudain. Pourquoi t’arrêtes-tu ainsi ?… Pauvre bête ! se dit-il ensuite ; elle est fatiguée, tout simplement… Mais… Ah !

Il venait d’apercevoir un homme, étendu sur le sol et barrant le chemin. Un pas de plus, et Presto eût marché dessus.

Qui était cet homme ?… D’où venait-il, et que faisait-il là ?… Était-il mort… ou seulement malade ?… Blessé peut-être ?…

Yvon s’empressa de descendre de cheval et de s’approcher de l’inconnu ; ayant posé sa main sur son cœur, il s’aperçut qu’il battait encore, quoique faiblement.

Nous l’avons dit déjà, il faisait noir, quoiqu’il ne fût pas encore tard, à cause de l’orage qui se préparait ; de fait, de larges gouttelettes de pluie tombaient, depuis