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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Me diras-tu ce que tu as l’intention de faire ?

— Ah ! Voilà ! Il n’y a rien comme de s’entendre… Si je le voulais je pourrais exiger, pour prix de mon silence des milliers et des milliers de dollars… Disons cent mille dollars… Ça ne serait pas payer trop cher le bonheur de votre fille, de votre unique enfant.

— Cent mille… Cent mille dollars ! s’écria Richard d’Azur, en devenant pâle comme un mort ; c’est qu’il aimait son argent, il l’adorait cet homme.

— Mais, oui !… Cependant, ce n’est pas à prix d’argent que vous pouvez acheter mon silence ; c’est…

— Parle, Jacobin, parle ! Dis-moi ce que je pourrais faire pour gagner tes bonnes grâces.

— Voici, fit le jeune homme : je veux avoir une entrevue avec Alba…

— Ce sera facile cela, mon garçon !

— Non seulement une entrevue, mais je désire passer une heure ou deux, toute une veillée avec elle… une de ces bonnes veillées d’autrefois… et cela le plus tôt possible.

— Demain soir ?…

— Pourquoi pas ce soir ?

— Impossible ! M. Ducastel veille avec sa fiancée ce soir ; il me l’a dit.

— Ah ! Je comprends !…

— Mais demain soir, il doit travailler à son bureau… M. et Mme Francœur seront absents, eux aussi ; nous serons donc seuls dans la maison.

— Je viendrai demain soir alors, fit Jacobin en se levant pour partir. Il faut que ce soit demain soir le plus tard, vous savez ; c’est déjà aujourd’hui mercredi, et j’ai promis de rejoindre notre cirque samedi soir le plus tard.

Comme les deux hommes se, dirigeaient vers la porte de sortie, ils rencontrèrent Salomé.

M. Jacobin ! s’exclama-t-elle, à la fois étonnée et effrayée.

— Ça va bien, Salomé, je l’espère ? fit le jeune homme en ricanant. On part… mais on revient, hein, bonne Salomé ?… Comment se porte Mlle … d’Azur ? ajouta-t-il, moqueur.

La négresse ne répondit pas.

— Dites-lui à Mlle d’Azur que j’aurai le plaisir de venir lui rendre visite demain soir, n’est-ce pas, Salomé ? continua Jacobin. Oui, demain soir, à sept heures précises, je serai ici.

Même mutisme de la part de la négresse ; seulement, ses doigts se fermaient et s’ouvraient avec un geste si expressif, si suggestif, que le jeune homme éclata de rire.

— Bonne Salomé ! fit Jacobin, riant de plus en plus fort. Vous aimeriez bien à m’étrangler, hein ? Mais je dois sous avertir d’une chose, M… d’Azur, Salomé aussi : c’est que, si, d’ici demain soir, il m’arrivait quelque chose… quelqu’accident, vous comprenez… le notaire Soucy, de cette ville, a en sa possession une lettre, qu’il ouvrira, deux heures après ma mort.

— Mais…

— On ne sait pas ce qui pourrait arriver, voyez-vous, M. d’Azur, continua Jacobin avec un sourire nargueur. Salomé est si dévouée à sa jeune maitresse ! Pour écarter un ennemi du chemin d’Alba, elle serait capable de tout… oui, de tout, je crois.

— Je vous remercie de la bonne opinion que vous avez de moi, M. Jacobin, dit la négresse.

— Ah ! Bah ! répliqua en ricanant le jeune homme. Dans tous les cas, il faut que je vous dise… l’enveloppe, adressée au notaire Soucy, en contient une autre, à l’adresse de M. Ducastel celle-là ; de cette manière, s’il m’arrivait malheur… si on me trouvait sur le bord du chemin… étranglé par exemple. Je n’emporterais pas dans la tombe certains renseignements… intéressants, pour le fiancé d’Alba Hynes.

— Mon cher Jacobin ! fit Richard d’Azur, d’un ton scandalisé. Pourquoi ces… avertissements… ces menaces ?

— Je sais ce que je fais, M. Hynes ! répondit le jeune homme. Ainsi, prenez-en votre parti, vous et Salomé… À bon entendeur, salut !

Ce-disant, Jacobin quitta la maison, sans même regarder derrière lui.

Il ne vit donc pas Salomé qui, ses yeux roulant dans leurs orbi-