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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Comme elle mettait le pied sur la première marche de l’escalier conduisant au premier palier, elle fut saisie par le bras et une voix, celle de Salomé, murmura à son oreille :

Mlle Luella ! Mlle Luella ! Vous n’allez pas vous présenter devant M. Ducastel ainsi !

Sur le visage de la négresse se lisait une véritable horreur.

— Comment ? Que veux-tu dire, Salomé ? demanda, sur le même ton, Luella.

— Vous, avez pleuré… et vos larmes ont effacé le rose sur vos joues, Mlle Luella, fit la domestique. Vous êtes pâle… oh ! si pâle !

La négresse entraîna sa jeune maîtresse. Luella ne fit aucune résistance ; mais lorsque, arrivée dans sa chambre, Salomé lui présenta une petite glace afin qu’elle pût constater par elle-même la pâleur de ses joues, une scène assez étrange eut lieu. La jeune fille jeta un coup d’œil dans le miroir reflétant ses traits, et ses lèvres devinrent blanches comme de la chaux, puis, arrachant le petit miroir des mains de la négresse, elle le jeta par terre et piétina dessus. Des sons inarticulés sortaient de sa bouche ; une vraie rage semblant la posséder.

S’approchant d’un guéridon ensuite, elle s’empara d’une cravache, avec laquelle elle s’apprêta à fouetter la domestique ; mais celle-ci la lui arracha des mains et la jeta au loin. D’une voix tremblante ensuite, et tandis que de grosses larmes coulaient sur ses joues, la négresse dit :

Mlle Luella, n’essayez jamais… jamais entendez-vous… de frapper Salomé !

— Et pourquoi pas, vile négresse ? demanda la jeune fille.

Salomé sourit tristement.

— Frapper Salomé ! Vous ? Mais, ce serait un… un crime !

— Un crime ? fit Luella en éclatant de rire.

— Oui un crime… car Salomé vous est toute dévouée, Mlle Luella… elle donnerait cent fois sa vie pour vous !

— Ah ! Bah ! répondit, en haussant les épaules, l’enfant gâtée du millionnaire.

— Allons, Mlle Luella, reprit la négresse ; venez vous asseoir ici ; je vais vous arranger le visage. Venez, je vous prie !

Docilement, la jeune fille obéit et bientôt, la domestique lui présentait un autre miroir pour qu’elle se regardât. Le miroir reflétait des joues légèrement teintées de rose ; ce teint factice changeait complètement… étrangement presque, la physionomie de la fiancée d’Yvon Ducastel.

Sans un signe de reconnaissance envers la servante, Luella quitta sa chambre et bientôt, elle pénétrait dans la salle à manger, où l’attendaient son père et son fiancé.


Chapitre IX

CAPRICE D’ENFANT GÂTÉE ( ?)


Le lendemain midi, c’est enveloppée d’un châle blanc que Luella descendit pour le dîner.

— Vous n’êtes pas malade, Luella ? demanda Yvon.

— Presque pas, répondit-elle en souriant.

— Elle a pris froid hier, en se rendant sur le terrain du cirque, fit Richard d’Azur.

— Oh ! Ça ne sera rien, dit la jeune fille en riant… Un léger rhume.

— Tu as toussé toute la nuit, Luella, lui rappela son père.

Luella rit de grand cœur.

— Savez-vous, Yvon, fit-elle, que si j’ai le malheur de tousser, même une fois, en dormant, comme ça peut arriver à tout le monde, père devient tellement inquiet qu’il m’éveille, pour me demander si c’est moi qui vient de tousser. Résultat : énervée quelque peu, je tousse ensuite pour le reste de la nuit.

Yvon sourit à cette tirade de Luella ; mais il lui dit :

— Soignez-vous bien, tout de même, Luella ! On me dit qu’il y a plusieurs cas d’influenza dans la ville.

— Ne craignez rien, Yvon. Je ne suis pas pour tomber malade à la veille de mon mariage ainsi, répondit-elle gaiement… Et ce cirque ? reprit-elle. Est-il parti ?

— Oui, il est parti, ce matin, pour Halifax, prétend-on. Léon,