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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

affaires, s’il vous plaît ?

— Comment ! Vous osez me parler sur ce ton ! Ce qui concerne ma fille me concerne, moi aussi, M. Ducastel et, je vous en avertis, ne causez pas de peine à Luella, car vous vous en repentirez !

— Des menaces ? s’écria Yvon, qui ne se possédait plus de colère.

— Comme vous voudrez !… Tout ce que je peux vous dire…

— Si vous me laissiez arranger cette affaire avec Luella ? M. d’Azur, suggéra le jeune homme.

— Oui, père, il a raison, dit, à ce moment Luella, qui venait de réintégrer la salle à manger. Laissez-moi seule avec Yvon, je vous prie, père.

Sans protester aucunement, Richard d’Azur quitta la salle, laissant seuls les fiancés. M. et Mme Francœur s’étaient retirés dans la cuisine.

— Luella, dit notre ami, en entourant de son bras la taille si frêle de la jeune fille, je vous promets de revenir souper ici, ce soir… Je refuserai l’invitation que M. Jacques ne manquera pas de me faire…

— Certain, Yvon ?

— Oui, certain !… D’ailleurs, M. Jacques ne se froissera pas de mon refus, car il comprendra que je tiens à être en votre compagnie le plus possible… Ainsi, ne pleurez plus, je vous prie. Je serai de retour, entre cinq et six heures, sans faute.

— Puisque vous me le promettez… dit Luella consolée.

— Au revoir alors, Luella !

— Au revoir, Yvon.

Il lui pressa la main, comme il l’eut fait en quittant un bon camarade, puis il partit pour son bureau… Vraiment, depuis… depuis ses fiançailles, il se l’avouait à sa honte, c’était à son bureau qu’il se trouvait le plus à l’aise, le plus chez lui.

À trois heures précises, il se dirigeait vers la Ville Blanche, à cheval sur Presto. Le temps était superbe et la promenade agréable. Tout en cheminant, il se demandait si Lionel Jacques allait être bien surpris en apprenant la nouvelle qu’il lui apportait Yvon se rappelait des conseils que lui avait donnés son ami déjà, à propos d’Annette… Il avait donc deviné les sentiments du jeune homme vis-à-vis de la jeune aveugle ?… Et aujourd’hui, en apprenant que ce même jeune homme était devenu le fiancé de Mlle d’Azur, que penserait-il ?… Sans doute, il l’accuserait d’être inconstant, volage… Ah ! S’il pouvait lire dans son cœur et voir ce qu’il endurait de tourments à chaque instant depuis qu’il avait accompli ce qu’il avait cru être son devoir !

En arrivant au Gite-Riant, Yvon n’aperçut pas Lionel Jacques à sa place accoutumée sur la véranda.

Comme il s’apprêtait à sonner à la porte d’entrée, il vit Catherine dans le jardin, qui enlevait les mauvaises herbes.

— Allô, Catherine ! fit-il. Comment ça va-t-il ici ?

— Ah ! M. Ducastel ! s’écria la brave servante. Ça va bien, je vous remercie, Monsieur.

M. Jacques est-il chez lui ?

— Je crois qu’il est dans la maison… Il devait se rendre au presbytère, ayant affaire au curé ; mais il n’est pas parti encore… Entrez donc tout droit, M. l’Inspecteur.

— Très bien !… Si M. Jacques est absent, je l’attendrai dans son étude.

— Jasmin est allé à la carrière, M. Ducastel… Votre cheval…

— Je vais m’en occuper moi-même, Catherine. Ne vous inquiétez pas de moi… ni de Presto, dit Yvon en riant.

Ayant installé Presto dans une des stalles vides de l’écurie. Yvon pénétra dans la maison. Tout y était silencieux ; le maître des séants ne devait être de retour encore du presbytère.

Il entra dans l’étude, avec l’intention d’y attendre Lionel Jacques. Les stores étaient baissés et les rideaux fermés, à cause du soleil trop ardent, qui pénétrait à flots dans cette pièce, au point que c’en était intolérable les jours de grande chaleur, s’entend.

L’étude faisait suite à la bibliothèque, au Gite-Riant. Les deux pièces étaient séparées l’une de l’autre par des portes d’arche… toujours ouvertes : des portières seulement, en peluche verte très épaisse, servaient réellement de séparation.

Yvon, installé dans un fauteuil,