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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

tend. Bousculés par ceux qui, comme eux, fuyaient, tombant, se relevant, pour tomber encore, piétinés, souvent, les vêtements en lambeaux, le visage, les bras, les jambes, déchirés, meurtris, quelques-uns saignant de quelque blessure ; d’autres, épuisés, mais courant, courant toujours, afin d’atteindre au plus tôt, le char qui les sortiraient de ce gouffre.

Enfin ! Enfin ! Voici l’un des chars ! Leur guide (celui qu’ils avaient toujours suivis envers et contre tout et tous) y parvient le premier. Mais là aussi, quelle bousculade ! On se précipite sur les marches, on s’entasse les uns sur les autres, sans égard aux cris, aux protestations, et au risque d’être jeté sur la voie ferrée, au premier mouvement du char et d’y être écrasé par le convoi suivant. Que leur importe ! Il faut sortir de cet enfer ; il le faut, à tout prix ! On veut revoir le jour, la lumière, respirer l’air et la liberté du dehors !

Car le grondement de tout à l’heure n’a pas cessé un seul instant ; il est évident qu’il ne s’agit pas seulement d’un effondrement, mais aussi d’une explosion partielle. Savait-on à quel moment les voûtes secouées de la mine s’écrouleraient, les écrasant tous sous leur poids ?

L’obscurité qui régnait, à cause de tant de lanternes qui avaient été brisées et qui n’éclairaient plus, ajoutait sa note lugubre à la tragédie. On ne pouvait ni se voir, ni se reconnaître, ni se compter. Il y eut des appels qui n’amenèrent pas de réponses ; il y eut des noms criés en sanglotant… qu’accueillait le silence… On eût voulu s’assurer qu’aucun des siens n’avait péri… À quoi bon — … Alors, les lamentations recommençaient, ainsi que les pleurs de désespoir. C’était affreux !

Nos amis n’avaient pu tous prendre place dans le premier char. Lionel Jacques savait, seulement, qu’il avait, à côté de lui, M.  et Mme Foulon. Les autres…

— Ô ciel ! pensait-il. Lesquels de nous manqueront à l’appel, tout à l’heure ?… Je sais que M.  et Mme Foulon sont assis sur la même marche que moi… Mais Patrice Broussailles ? M.  et Mlle d’Azur ? Où sont-ils ?… Yvon… Eh ! bien, espérons que M. Foulon ne s’est pas trompé et que c’était bien lui qui nous précédait… Cependant… Il était au fond du couloir… tout au fond, lorsque nous est apparue la Dame Noire… et puis, il n’a pas répondu, lorsque je l’ai appelé, il y a quelques instants… Ah ! Que le Seigneur ait pitié de nous… et de tous ceux qui sont emprisonnés dans ce gouffre avec nous en ce moment ! Quelle catastrophe, grand Dieu !

Plus d’une fois, tandis qu’il se livrait à ces sombres réflexions, Lionel Jacques avait été interrompu par quelqu’un lui marchant sur les pieds, sur les jambes ou quelques autres tombant sur lui. D’autres fois, c’étaient des mains, invisibles dans l’obscurité, qui se cramponnaient à lui… Oui, vraiment, c’était horrible !

Soudain, un cri se fit entendre… Il y eut le bruit de verre cassé… puis l’obscurité devint totale, complète.

— Ma lanterne ! s’écria un mineur.

La seule lanterne qui les éclairait, quoique bien imparfaitement, venait de choir sur le sol et elle s’était émiettée et éteinte immédiatement ; dans la bousculade générale on n’eut pu s’attendre à autre chose.

Se fait-on une idée de ce qu’est l’obscurité… à deux mille pieds sous terre ?… Peut-on s’imaginer comme elle est complète, sans le moindre reflet subsistant ?… Cette obscurité on ne fait pas seulement que la voir, on la sent, elle pèse sur nous, elle nous enveloppe comme un suaire semble-t-il.

La destruction de la seule et dernière lanterne qu’ils eussent en leur possession produisit une véritable panique parmi les mineurs. Quels cris, cris de rage et de désespoir, retentirent ! Même, il y eut des blasphèmes, d’affreux blasphèmes, qui firent pâlir et frémir ceux qui les entendirent.

— Mes amis, dit Lionel Jacques, aussitôt qu’il put se faire entendre, gardons-nous bien de blasphémer, en ce moment surtout !… Nous sommes tous entre les mains de Dieu… Prions, plutôt, mes amis… prions ! Demandons que tous, oui, tous puissent répondre à l’appel, ce soir.

— Pourquoi le char ne monte-t-il