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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

je n’en suis pas fâché. Obligé de poser en professeur de minéralogie, cela commence à m’ennuyer beaucoup ; d’autant plus que ce M. Ducastel s’y connaît, et j’ai toujours peur de faire quelque gaffe, lorsque nous nous entretenons de minéraux ensemble. Ha ha ha !

— Nous devions partir demain, n’est-ce pas ?

— Oui, demain… Je le devine bien, toi non plus, tu ne seras pas fâchée de quitter le ciel toujours encrassé de W…

— Vous vous trompez, petit père… Au contraire… j’aimerais à prolonger ma promenade en cette ville.

— Hein ? cria presque Richard d’Azur. Tu aimes cette ville ?…

— Mais, oui.

— J’ai peine à te croire, Luella ! On ne respire, ici, que de la poussière de charbon… Tout est noir et sale ici… Jamais on ne peut entrevoir seulement le firmament bleu, qui est caché par d’épais nuages noirs… Non ! W… n’est pas un endroit idéal… pour y passer la belle saison.

— En cela vous avez raison, je l’avoue ; W… est loin d’être une ville idéale. Il me semble que, déjà, mes poumons sont encrassés de cette poussière de charbon dont vous venez de parler… Et puis, tous ces infirmes que nous rencontrons, chaque fois que nous mettons le pied dehors ; victimes, ceux-là, de quelqu’accident dans la houillère, me dit-on… Décidément, W… n’est pas un paradis terrestre !

— Alors, Luella…

— Mais dans cette ville… non-idéale, j’ai rencontré mon idéal, père, avoua la jeune fille.

— Comment ? Que veux-tu dire ? Ton idéal ?.. Je… Je ne comprends pas…

— Je veux parler de M. Ducastel, père chéri… Je… je l’aime et…

— Quoi ! Tu aimes ce garçon ? Toi ? Toi ? Toi qui pourrais épouser, quand et aussitôt qu’il te plaira, un titre, un des plus beaux qui soient !

— Que voulez-vous, père ? Je…

— Tu te crois entichée de ce M. Ducastel… l’inspecteur de la houillère de W… ; un pauvre diable qui…

— À quoi sert, père ? Je le répète, je l’aime !

— Ma pauvre enfant, tu rêves !

— Non, je ne rêve pas… Il est pauvre, vous venez de le dire ; mais, je serai riche pour deux, n’est-ce pas ? Et puis, il est parfait pour moi ce jeune homme.

— Chère petite, fit Richard d’Azur, d’un ton légèrement impatienté, quelle folie de t’être amourachée de ce garçon qui, peut-être, est fiancé à une autre… Tu ne sais pas, après tout ; tu le connais à peine.

M. Ducastel est libre, libre comme l’air (et je ne parle pas de l’air de W.., croyez-le bien) dit Luella en riant.

— Comment le sais-tu ?

— Oh ! Adroitement, très adroitement, je m’en flatte, j’ai questionné cette brave femme Mme Francœur ; or, elle est tout à fait au courant des faits et gestes de son pensionnaire, sachez-le.

— Ainsi, ma fille, tu désires véritablement que nous prolongions notre séjour en cette ville ?

— Oui, père ; je le désire…, ardemment.

— Eh ! bien… Mais il y a Mme Francœur… Je doute, fort que cette femme soit disposée à nous garder plus longtemps dans sa maison.

— Ah ! bah !… En y mettant le prix, fit, assez cyniquement Luella.

— Je verrai ce que je pourrai faire, promit Richard d’Azur.

— Merci, père chéri !… J’aimerais aussi que nous nous procurions deux bons chevaux de selle ; un pour vous et un pour moi…

— Je m’en occuperai…

— Voyez-vous, M. Ducastel possède un splendide cheval ; c’est Salomé qui me l’a appris. Nous sortirons ensemble, lui et moi.

— Je présume que M. Ducastel se chargera bien de nous trouver des chevaux, si nous l’en prions, répondit Richard d’Azur, non sans soupirer, car il était grandement déçu concernant sa fille ; lui qui avait rêvé de la voir, au moins comtesse un jour !

Yvon ne fut pas trop surpris, ce soir-là, quand Richard d’Azur lui demanda de leur trouver deux chevaux de selle, et qu’il ajouta qu’il avait résolu, avec le consentement