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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Oui, Monsieur… Monsieur d’Azur, répondit Yvon un peu froidement après avoir de nouveau, jeté les yeux sur la carte de visite qu’il tenait à la main.

— Professeur de minéralogie, à l’Université de Chicago, acheva Richard d’Azur. Et il me fait plaisir de vous présenter ma fille, reprit-il, en désignant celle qui l’accompagnait. Luella, M. Ducastel, ajouta-t-il, en présentant les jeunes gens l’un à l’autre.

— Je suis heureux de faire votre connaissance, Mademoiselle, dit Yvon, en s’inclinant devant la jeune fille. Prenez des sièges ajouta-t-il. Mais attendez, s’il vous plaît !

Il courut à une armoire et l’ayant ouverte, il en retira une grande serviette, qu’il étendit sur la chaise la plus rapprochée de Luella d’Azur. Comme celle-ci le regardait en souriant, mais l’air fort étonné, il dit :

— La poussière de charbon se pose partout, voyez-vous, Mademoiselle ; elle s’attache à tout, elle noircit tout ce qu’elle touche ; votre costume en eut vite porté les traces.

— Ah ! Merci, M. Ducastel, fit-elle toujours souriante.

— Vous vous demandez, M. l’Inspecteur, je le présume, la raison de notre visite ?… Je vais donc…

Mais Richard d’Azur se tut soudain. Un bruit assourdissant venait de se produire ; une ou plusieurs tonnes de charbon croulaient sur le terrain entourant la houillère.

Pendant le silence forcé qui suivit, Yvon examina ses visiteurs, sans que ceux-ci s’en aperçussent : Richard d’Azur était un homme assez corpulent et d’une taille un peu au-dessus de la moyenne. Son teint, rose et blanc, ses yeux bleus, presqu’à fleur de tête, ses cheveux blonds, légèrement bouclés, sa moustache épaisse, blonde aussi, et se terminant en accroche-cœurs, faisaient qu’on devait le prendre plus souvent pour un Allemand que pour un Français, tel que son nom l’indiquait pourtant. Sa physionomie bonnasse inspirait une certaine confiance ; on se disait, naturellement, que rien ne devait être plus facile que de s’arranger et s’entendre avec M. d’Azur. Oui, c’était là la première impression ressentie ; c’est que son épaisse moustache cachait sa bouche, dont l’expression de détermination eut donné à penser peut-être.

Mlle Luella d’Azur était petite de taille ; « mignonne » eut-on dit, par galanterie. Elle était frappante cette jeune fille et on devait se retourner plus d’une fois, pour la regarder encore, lorsqu’on la croisait en route. Ses cheveux étaient blonds, avec des reflets dorés… si blonds, si dorés, qu’on était porté à se demander s’ils n’avaient pas emprunté leur nuance et leur brillant à l’art… autrement dit, à la teinture. Luella était très blanche de peau et ses joues étaient d’un rose si frais, si beau que c’en était merveilleux vraiment… seule, une personne très expérimentée eut deviné que ces teints si extraordinaires peuvent, généralement, s’acheter chez le premier pharmacien venu, à tant la boîte.

Mais Yvon ne vit rien de tout cela ; il trouvait admirables la chevelure et le teint de Luella d’Azur et il se disait qu’il était regrettable que deux choses eussent déparé ce joli visage… joli au premier abord, dans tous les cas : les yeux de la jeune étrangère étaient presqu’invisibles sous des verres bleus, presque noirs ; sans doute, elle avait les yeux faibles ou fatigués la pauvre enfant. Elle était jeune (dix-sept ans, dix-huit ans au plus) et elle avait dû se massacrer les yeux à l’étude ; cela arrivait assez souvent. Une autre chose déparait le visage de la jeune fille ; sa bouche trop grande, ses lèvres trop épaisses, seulement, lorsque ses lèvres s’entr’ouvraient pour sourire, elles découvraient des dents petites, blanches et d’une régularité parfaite.

Mais Richard d’Azur parlait, tout bruit ayant cessé :

— Je dois vous dire, M. Ducastel, que nous sommes venus presque directement ici, en descendant du train, tout à l’heure… pour vous demander de nous rendre un service.

— Vraiment ? s’exclama Yvon. Si je peux vous être utile à quelque chose, comptez sur moi, ajouta-t-il.

— Merci, M. Ducastel, merci !… Donc, voici : nous avons l’intention, ma fille et moi, de passer trois ou quatre jours à W…, car, si nous