Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
BOIS-SINISTRE

ayez la bonté d’expliquer le sens des paroles que vous venez de dire.

— Expliquer ?… fit Rachel d’un ton fort perplexe. Expliquer quoi, Madame ! Vraiment, je ne comprends pas…

— Bien… dis-je, en hésitant un peu, qui a été arrêté pour le meurtre ? Qui ! Qui a avoué avoir assassiné M. Martigny ? Qui ? Allons, parlez !

— Mais, Madame… ne savez-vous pas ?

— Non, puisque je vous interroge sur ce sujet.

— Alors, répondit Rachel, je vais vous le dire… M. Aurèle Martigny a été assassiné par Caïn, son valet nègre.

XLV

COMMENT CELA FINIRAIT-IL ?


Ainsi, Aurèle Martigny avait été assassiné par son valet nègre, Caïn !…

Je comprenais tout maintenant ; le nègre avait subi plus d’un mauvais traitement de la part de son maître et il s’était vengé… Mais, quelle vengeance !

Lorsque j’appris ce nouveau développement de la tragédie à Mlle Brasier, ce soir-là, après le départ de Mme Martigny, elle s’écria :

— Je vous le demande, comment avons-nous pu soupçonner Rocques d’avoir commis un crime aussi horrible, aussi lâche, Mme Duverney ?

Je me le demandais à moi-même aussi… Comment avais-je pu avoir pareille pensée, même pour un instant ?… Rocques avait certainement essayé de darder Aurèle Martigny, dans la bibliothèque, le soir du meurtre ; mais il avait été grandement provoqué… Qu’il eût voulu tuer l’homme qui venait d’insulter sa femme… et nous toutes, cela eût pu se comprendre… Mais que Rocques, l’aimable, l’honnête Rocques, eût attendu Aurèle Martigny, à sa sortie de la maison, embusqué sous les sapins, et qu’il l’eût dardé au cœur, alors que celui-ci n’était pas préparé à se défendre, et cela, je le comprenais bien maintenant, c’eût été impossible, tout à fait impossible…

Il y avait eu la découverte du couteau, il est vrai ; mais nous pouvions comprendre parfaitement comment Rocques, en quittant la maison, avait cru le glisser dans sa poche et qu’il serait tombé plutôt sur le sol, sans qu’il s’en aperçût, puis Caïn, ayant trouvé le couteau, s’en était servi pour accomplir un crime…

Le soulagement que nous éprouvions (je veux dire Béatrix, Mlle Brasier et moi) de la certitude que notre ami n’était pas coupable, est impossible à décrire ; Béatrix aimait Rocques d’amour ; Mlle Brasier et moi nous l’aimions d’une grande et sincère amitié, et nous avions été si malheureuses à la pensée qu’il avait noirci son âme d’un meurtre !

Nonobstant notre soulagement, de ce côté, nous étions mortellement inquiètes d’un autre. Nous savions bien que nous étions dans de mauvais draps… Le nègre parlerait… il dirait qu’il avait suivi son maître, le soir du crime, jusqu’à Bois-Sinistre et que celui-ci poursuivait sa femme… Il raconterait la rencontre entre Béatrix et Rocques, car il avait dû en avoir connaissance, à travers le châssis dont la store était relevée… Il parlerait de la scène qui s’était passée entre la jeune femme, affolée de peur, et son mari jaloux.

Oui, nous serions compromises, toutes trois ; il n’y avait aucun moyen de sortir de là !

Qui sait de quoi le nègre avait eu connaissance encore ?… Je me souvins tout à coup, de l’hésitation du chien, le soir de la tragédie, en sortant de la maison ; Bravo avait semblé se demander s’il devait s’élancer vers le petit bois de sapins, ou vers L’Avenue des Cèdres… Caïn était probablement dans les alentours… il nous avait vues, sans doute, quitter la maison… peut-être nous avait-il vues aussi jeter le corps d’Aurèle Martigny dans le lac…

Les journaux étaient remplis de détails de toutes sortes concernant l’arrestation du meurtrier d’Aurèle Martigny et de son incarcération dans la prison.

Un jour, on commença l’examen préliminaire du prisonnier ; il y en eut des colonnes et des colonnes, et quoique je ne m’attardasse pas, généralement, à lire ces sortes de choses, je ne perdais pas un mot de ce qui était imprimé à propos de l’assassinat.

Je lus… et je m’étonnai… car, pas un nom ne fut mentionné ; pas un qui nous intéressât, dans tous les cas… En vain je cherchai le nom de Béatrix, de Rocques, de Mlle Brasier, puis le mien… Rien… Il ne fut pas du tout mention de Bois-Sinistre non plus ; évidemment, tous étaient