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BOIS-SINISTRE

voix méconnaissable. Je n’aurai plus besoin de vous ce soir.

— Monsieur ! Ô Monsieur ! sanglota la pauvre fille, Pensez-vous… pensez-vous qu’il peut être arrivé malheur à la chère bonne petite madame ?

— Hélas ! Hélas ! Je n’en sais rien ! répondit Denis Grandin en se jetant sur le canapé et éclatant en sanglots.

Ils firent les plus minutieuses recherches dans le petit bois de sapins ; Denis Grandin, aidé de son cocher, parcourut la forêt de fougères, puis le jardin ; bref, tous les environs de la maison et même la langue de terre reliant le promontoire à la terre ferme… Mme Grandin resta introuvable…

Alors, le cocher, sans en demander la permission, attela les chevaux a la berline et se rendit au village, chercher de l’aide, et bientôt, plus de quinze personnes faisaient, elles aussi, des recherches… inutiles… Mme Grandin avait disparu !…

— Le Lac Judas… murmura quelqu’un.

Le lac !… cria Denis Grandin, qui avait entendu. Vous voulez dire… Vous croyez que… Ô mon Dieu !

Des grappins fouillèrent le lac…

À cinq heures du matin, ces grappins rapportèrent le corps de Mme Grandin ; elle avait dû glisser sur le dangereux terrain du petit bois et être précipitée, du haut du promontoire, dans le Lac Judas…

— Ô ciel ! Que c’est horrible ! s’écria Mlle Brasier.

— La pauvre femme ! m’exclamai-je.

Deux jours plus tard, reprit M. Beaurivage, avaient lieu les funérailles de Mme Grandin. J’étais présent. Lorsque le cercueil fut mis en terre, Denis Grandin s’évanouit ; ce fut un évanouissement si complet, si long, si prolongé, que nous crûmes vraiment qu’il allait mourir.

J’accompagnai le mari désolé à la maison, au retour du cimetière… Il était tellement changé qu’il en était presque méconnaissable, pauvre garçon !

Comme nous arrivions sur la langue de terre reliant le promontoire à la terre ferme, je vis plusieurs personnes allant autour de la maison ; ils couraient effarés, comme s’ils eussent été à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un… Qu’était-il arrivé ?… Denis Grandin, affaissé sous le coup du décès si tragique de sa femme et à peine revenu des effets de son évanouissement, ne remarqua pas ce qui paraissait se passer aux environs de sa maison.

La voiture nous contenant, Denis Grandin et moi, arriva devant la maison ; des visages effrayés nous accueillirent.

— Qu’y a-t-il ? demandai-je tout bas à l’un des domestique, au moment de descendre de voiture. Il y a quelque chose, sûrement !

— Ô Monsieur ! me répondit-il, tandis que des larmes coulaient sur ses joues. La petite… Mlle Olivette…

— Eh ! bien ? Qu’est-ce que c’est ?

Mlle Olivette… La petite… balbutia l’homme, de nouveau.

— Allons, mon homme, ne me faites pas languir ainsi ! fis-je d’un ton très impatienté. Mlle Olivette…

— Elle a… disparu, Monsieur… Nous l’avons cherchée partout… Nous n’avons pu la trouver nulle part… Que Dieu nous vienne en aide !…

— Ô juste ciel ! s’écria Mlle Brasier. Est-ce que ?…

— Vous… Vous ne voulez pas dire que… que… la petite… elle aussi ?

— Hélas ! oui, répondit l’avocat.

— Mais ! C’est épouvantable ! murmurai-je.

— Je continue, reprit M. Beaurivage. Denis Grandin était entré dans la maison et il était tombé, épuisé de fatigue et de douleur, sur le canapé de la salle d’entrée. Je l’entendis sangloter comme un enfant.

Nina ! Nina ! Ma femme ! Ma bien-aimée !

— Courage, mon pauvre ami ! dis-je.

— Beaurivage, reprit-il, je… je ne peux pas… supporter ma peine… C’est trop ! C’est trop ! Ma femme, si belle, si bonne, ma Nina chérie !

— Il ne faut pas vous laisser abattre ainsi, Grandin ! Vous ne devez pas vous décourager. Courage, pauvre ami, courage !

— Courage ?… Comment puis-je avoir du courage, quand je viens de perdre ma femme bien-aimée ?…

— C’est terrible, je le sais, mon pauvre Grandin, et, croyez-le, je sympathise avec vous, du plus profond du cœur !

— Je n’en doute pas, Beaurivage, me répondit-il en me tendant la main… Olivette… reprit-il. Je veux la voir !… Pauvre petite orpheline !… Elle seule me reste maintenant… Heureusement,