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Et qu’est-ce qu’un voleur qui ne sait pas l’argot ?

Cette fausse position arrêtait donc toute expansion chez le nouvel incarcéré et le gênait dans ses observations. Aussi, pour se dispenser de causer, affectait-il une grande préoccupation d’esprit.

À cette époque, la mystérieuse corporation des criminels maintenait dans toute sa pureté son bizarre idiome, et ni le Dernier jour d’un condamné, ni les Mystères de Paris n’étaient venus populariser la langue argotique dans la jeunesse dorée et chez les vaudevillistes. Les filous seuls décidaient le jars, et le bourgeois qui se serait passé cette fantaisie avec quelques amis, dans les épanchements de l’intimité, ne serait parvenu qu’à captiver les regards de la police et à se faire surveiller avec une touchante sollicitude.

Lacenaire faisait donc semblant de méditer pour légitimer son mutisme, mais, en réalité, il cherchait à pénétrer avec le plus grand soin les tournures fantasques et les obscurités de style de ses compagnons. Il s’y appliqua si bien, qu’au bout de trois ou quatre jours il fut en état de se mêler à leur conversation sans crainte de risquer le moindre barbarisme, et, à la fin de la semaine, non-seulement toutes leurs locutions, mais encore toutes leurs manières de voler, tous leurs trucs, lui étaient devenus familiers. Ce n’était pourtant pas tout à fait pour cela qu’il s’était fait enfermer, si on devait l’en croire ; — il aurait cherché à séjourner un peu dans les prisons, d’après son dire, pour étudier les mœurs de leurs habitants, examiner les instincts de ce monde à part et noter les caractères sur lesquels il pourrait